NOGENT-L'ABBESSE et saint Caprais
NOGENT-L'ABBESSE (Marne)
Commune rurale située à 9 kilomètres à vol d'oiseau de la cité rémoise, Nogent-L'Abbesse s'est établie sur les molles ondulations du relief des abords du mont de Berru.
Le village durement éprouvé lors de la Première Guerre perd en grande partie sa belle église avec le mobilier qui s'y trouve.
Mais dès le 16 août 1925 les édiles se réunissent en mairie pour étudier sa reconstruction. Elle est confiée à un architecte rémois René Lhomme qui, faute d'une aide suffisante accordée par la Commission cantonale, se voit contraint de restreindre les dimensions du bâtiment.
Les travaux sont réalisés par l'entreprise Baillot frères.
Le 26 juin 1927 Mgr Neveux, évêque auxiliaire du diocèse, inaugure l'édifice qui reste placé sous le patronage de Saint-Pierre.
L'église Saint-Pierre de Nogent (cliché : Inventaire Châlons Grand Est : Riviere Raffaëlle agence Akhesen)
Au Moyen-Âge le village est rattaché au doyenné de Lavannes ; sous le rapport féodal, il relève de l'abbesse bénédictine de Saint-Pierre-les-Dames de Reims; ainsi la commune prend le nom "abbesse" et son église celui de Saint-Pierre(1).
Ce nom d'abbesse n'a pas toujours été plébiscité en période révolutionnaire. Le décret du 28 novembre 1792 de la Convention Nationale ordonne de faire disparaître "les emblèmes de la ci-devant royauté". Les termes devenus odieux tels que château, roi, monastère, chanoines abbés ... sont bannis. Ainsi, pour quelques temps, Nogent-l'Abbesse est rebaptisée Mont-Nogent (ou plutôt "renommée" selon la tendance du moment !).
Le blason
Au début des années 2000 la municipalité décide d'affirmer son identité en choisissant un signe emblématique facilement identifiable porteur d'un symbole fort. L'esprit d'appartenance à une communauté soudée par des liens indéfectibles et soucieuse de parfaire son dynamisme, conduit le maire Guy Mouchel à choisir des armoiries pour la commune.
En effet, en application de la loi du 5 avril 1884, toujours en vigueur, les communes disposent de la souveraineté totale en matière d'armoiries. Une délibération du Conseil Municipal constitue l'acte officiel par lequel le blason communal acquiert son existence légale (2).
Alors se pose pour le maire la question du choix des éléments à incorporer dans l'image du blason. En général le patrimoine historique local sert de source d'inspiration.
Ici, à Nogent, le souvenir d'une communauté religieuse de femmes installée dès le VIIIe siècle pouvait constituer une piste sérieuse, d'autant que, plus tard, l'abbesse devenue supérieure du couvent des Carmélites de Reims y possède des biens : un petit château pour ses jours d'été et un pressoir pour assurer l'exploitation de son vignoble planté sur le terroir du village.
Mais les armoiries de l'abbaye ne comportant que des fleurs de lys, devenaient un signe trop prégnant pour l'esprit républicain d'aujourd'hui. Seul un rappel de l'origine royale est finalement conservé.
Une autre source d'inspiration oriente le choix des édiles locaux.
Depuis des temps immémoriaux les chrétiens du village vouent un culte à saint Caprais.
Dans l'église, un autel secondaire lui est dédié.
Au XVIe siècle la fabrique acquiert une statue pour honorer le saint. Elle prend place dans la nef sur une console en avant de l'arc triomphal.
Malheureusement la belle statue en bois peint disparaît en 1914/18 détruite ou emportée par les Allemands.
Seule subsiste aujourd'hui une reproduction photographique sur laquelle apparaît un guerrier en armure monté sur son cheval, une épée à la main.
Statue dite de saint Caprais en bois XVIe siècle (inscription de 1899)
«Le cheval et le guerrier, tenant l'épée nue à la main sont très expressifs et vigoureux d'aspect» (3)
L'image suggère un personnage prêt pour le combat, animé d'un bel allant; elle est porteuse de dynamisme : les édiles nogentais, séduits, la choisissent pour réaliser le blason.
Le travail est confié à Jean-Paul DENISE du Centre Généalogique et Héraldique de la Marne sis à Châlons-en-Champagne. C'est un spécialiste des armoiries, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet dont son célèbre "Armorial de la Marne" où sont répertoriés les 233 blasons des communes du département.
Afin de respecter les codes héraldiques, l'auteur utilise des gabarits pour représenter le cheval en mouvement et habiller le cavalier en armure dans le style des guerriers du Moyen-Âge tels que les représente Viollet Le Duc dans son Encyclopédie Médiévale.
Un pampre de vigne honore l'activité dominante dans ce village de plus de 500 âmes
Le blason de Nogent-l'Abbesse
Les armoiries adoptées fin 2002 se blasonnent ainsi:
Au premier de sinople au pampre de vigne tigé feuillé et fruité d'or
Au second d'azur semé de fleurs de lys d'or. A saint Caprais armé, visière ouverte, épée nue et brandie, monté sur un cheval, le tout d'argent, surmonté d'une jumelle potencée et contre-potencée d'or, brochant le tout
Selon la nature du support ou du document utilisé, la composition se décline en différentes versions.
Le papier à en-tête de la mairie et ses enveloppes d'expédition, portent un blason différent du modèle affiché sur l'enseigne du bar-restaurant tout proche
Ce valeureux guerrier tout vêtu d'armure, la tête ceinte d'un armet ou d'un heaume, brandissant l'épée, monté sur un cheval caparaçonné, part-il au combat ou en revient-il ?
Hagiographie de saint Caprais
La ville d'AGEN est étroitement liée au récit hagiographique de saint Caprais.
Caprasius est le fils d'un haut fonctionnaire romain nommé Fauste vivant à la fin du IIIe/début IVe siècle dans la cité d'Aginnum.
Au temps de Martial ou de Firmain la famille adopte la religion chrétienne.
Le jeune Caprasius reçoit une solide éducation et étudie les belles lettres. Il occupe très tôt de hautes responsabilités dans la conduite de la communauté chrétienne naissante.
Sur le plan politique, l'empire romain règne sous le joug de Maximien Hercule avec son associé: l'implacable Dioclétien. Ce dernier jouit du triste privilège d'être l'auteur de la dixième persécution perpétrée contre les chrétiens, celle jugée la plus violente et la plus systématique entre les années 300 à 305.
Le gouverneur de la province Tarraconaise et de l'Aquitaine méridionale, le cruel Dacien, traverse la Novempopulanie, passe la Garonne et se dirige aux portes d'Aginnum (Agen).
A cette approche, Caprais et les siens se réfugient sur les hauteurs de la ville pour se cacher.
L'endroit, appelé Pompéjac est couvert de forêts, au milieu des rochers, une caverne abrite Caprais avec ses fugitifs.
Dès son entrée dans la ville, Dacien invite la population à offrir des sacrifices aux dieux romains; il menace de mort toutes celles et tous ceux qui les outrageraient.
La première des victimes s'appelle Foi, elle est la fille d'une famille illustre d'Agen. Elle appartient aussi à la nouvelle communauté et n'est pas décidée à renoncer à sa religion. Elle marche vers le tyran pour lui signifier ses intentions.
Les récits hagiographiques qui n'ont rien d'historique, se composent toujours de la même façon:
-le persécuteur tente d'amadouer le rebelle pour l'inciter à renier sa foi en lui promettant des cadeaux ou des faveurs honorifiques
-face à son refus manifeste, il est remis aux bourreaux pour subir un supplice d'une cruauté extrême. Parmi ceux-ci comptent le lit d'airain, sorte de grill disposé sur des charbons ardents, la flagellation, les verges ou les lanières armées de balles hérissées de pointes ...
-l'héroïsme du supplicié impressionne la foule conviée au spectacle et aussi parfois même des exécuteurs ce qui génère des conversions malgré cette horreur.
-l'arme blanche (épée, poignard, hache) met fin à la vie du malheureux(se) supplicié(e).
Ainsi en est-il du sort de Foi.
Du haut de son refuge Caprais assiste à la scène.
Frappé par le courage de la jeune martyre, il demeure perplexe quant à l'attitude à tenir.
Il reçoit tout à coup un signe divin en guise de réponse à ses interrogations. A ses pieds jaillit une source d'entre les rochers qui se met à couler abondamment.
Reçu comme une injonction à agir, il part, à son tour, rencontrer le gouverneur.
Selon un scénario identique à celui de Foi, après d'atroces supplices, Caprais a la tête tranchée. (20 octobre 303)
Les chrétiens enlèvent sa dépouille la nuit suivante et l'enterrent dignement.
Ce n'est qu'au Ve siècle que l'évêque d'Agen, Dulcide, exhume le corps et le transfère dans l'église de la ville où il est vénéré comme un saint martyr.
Le sarcophage de marbre et les saintes reliques sont pillés au XVIe siècle par les protestants.
La tradition prétend que le corps de saint Caprais, vendu aux villageois par les huguenots, a été conduit dans l'église de Saint-Germain-du-Teil (Lozère).
D'autres parties du corps du saint ont été transportées au château de Lalande (Yonne).
Le chef (la tête) de Caprais serait religieusement conservé dans la cathédrale d'Agen.
Saint Caprais est devenu le patron de plusieurs églises de l'Agenais mais aussi de nombreuses autres dans toute la France ! Il est fêté le 20 octobre.(4,5,6,7).
Quelques représentations de saint Caprais
Agen
C'est vers la cathédrale d'Agen qu'il convient de se diriger d'abord pour voir une représentation de saint Caprais.
Un riche décor peint entre 1845 et 1869 par Jean-Louis Bézard attend le visiteur. Y sont racontés les martyres de sainte Foi (ou Foy) et de saint Caprais.
Ce dernier est toujours représenté en habit d'évêque comme pour cette statue.
Cathédrale Saint-Caprais (photo web Wikipédia)
Dans la Marne
La seule commune marnaise ayant Caprais comme patron de son église se situe près de Fère-Champenoise à Connantre.
Déposé sur le gradin d'un autel secondaire un reliquaire conserve "l'authentique" et de possibles reliques de saint Caprais. Dans la nef, un beau tableau peint du XVIIIe siècle figure le saint en tenue d'évêque.
Dans les Ardennes
Longtemps vénéré par les moines cisterciens de l'abbaye de Bonnefontaine, saint Caprais est toujours représenté dans l'église de Blanchefosse-et-Bay sous la forme d'une statue en bois polychrome.
«Saint Caprais est représenté en légionnaire romain avec cuirasse et tunique courte. La main gauche posée sur la poitrine, il tient la palme du martyre dans la main dextre»
Marasi Julien. Ministère de la Culture. Champagne-Ardenne. Conseil général des Ardennes sur le site : inventaire-chalons.grandest.fr
L'arrivée des reliques à l'abbaye de Bonnefontaine a toujours attiré de nombreux pèlerins. Saint Caprais y était invoqué contre les coliques des enfants. Désormais le reliquaire a été placé au pied de la statue dans l'église du village.
Dans l'Aisne
A proximité de Château-Thierry l'église de Chartèves est dédiée à saint Caprais. Elle renferme une statue du saint montré en tenue d'évêque ainsi qu'un bâton de procession lié à la confrérie du lieu
le bâton de confrérie (photo issue de la plateforme POP. 1937. cote 83/02)
Une légende rapporte qu'un rocher émergeait jadis de la rivière entre Chartèves et Mont-Saint-Père, on pouvait y voir l'empreinte d'un pied du cheval de saint Capraz. En ces temps reculés le cavalier, cerné de tous les côtés par les païens hostiles à sa venue, n'eut d'autre recours que de précipiter sa monture dans la Marne pour leur échapper. L'équidé y laissa une trace indélébile de son passage.
Au XIXe siècle le rocher fut détruit et extrait de la Marne car il entravait la circulation fluviale où plusieurs accidents furent recensés.
Dans l'Essonne
L'église de Saint-Vrain multiplie les références à son saint patron, Caprais.
Un autel s'enrichit d'un reliquaire restauré, un autre s'orne d'un décor en bas-relief retraçant la vie du premier évêque d'Agen, plus loin un vitrail habille une baie, à l'extérieur une fontaine récemment restaurée rappelle qu'un pèlerinage avait lieu deux fois l'an, le lundi de Pâques et le jour de la Saint-Caprais : le 20 octobre.
Dans l'Oise
A Auger-Saint-Vincent l'église est aussi consacrée à saint Caprais. Elle renferme plusieurs mobiliers qui lui sont dédiés
La châsse-reliquaire (photo :Wikipédia)
Dans le Val d'Oise
A Grisy-les-Plâtres la belle église du XIIIe siècle restaurée au XVIe siècle a saint Caprais pour patron. La baie axiale du chœur de l'édifice représente le saint en tenue d'évêque
Grisy-les-Plâtres
Photo reproduite avec l'aimable autorisation de Madame la Maire : Catherine CARPENTIER
A noter également la présence d'une statue de sainte Foi dans la chapelle latérale gauche
Dans la Dordogne
L'église Saint-Caprais de la commune de Carsac comporte un vitrail consacré au saint
Carsac-Aillac vitrail sur le mur sud
Dans la Haute-Loire
L'église de Craponne-sur-Arzon propose aux visiteurs un ensemble de vitraux, disposé dans le chœur au-dessus du portail ouest. Les baies illustrent la légende du premier évêque d'Agen sous la signature d'Emile Thibaud, vers 1865/1866.
L'épisode de la décapitation par le bourreau de Dacien.
Le saint est également représenté, sculpté, sur un panneau de la chaire à prêcher aux côtés des évangélistes (Œuvre de Gabriel Samuel 1735).
Dans la Gironde
Le gros bourg de Saint-Caprais-de-Bordeaux est fier de son église dédiée, sans surprise, à saint Caprais.
L'édifice y conserve une belle représentation de son saint patron dans un vitrail de la baie axiale du chœur. Il date du XIXe siècle.
St-Caprais Vitrail du chœur (cliché M. Bord)
Dans le cartouche du bas figurent les armoiries du Cardinal DONNET, Archevêque de Bordeaux de 1836 à 1882; elles sont surmontées de sa célèbre devise latine que l'on peut traduire ainsi : "vers le but courageusement, en toute chose doucement". Ce fut un prélat très engagé dans la restauration des églises de son diocèse.
Une relique (un fragment d'os du crâne) est conservée dans une petite châsse dorée.
Dans le Lot
La commune de Saint-Caprais conserve un bas-relief où figure l'épisode de la source
Saint-Caprais au pied du rocher d'où jaillit une source (photo Wikipédia)
Les communes de Mechmont (Lot), de Grezet-Cavagnan, de Marcoux et de Le Temple-sur-Lot (toutes trois dans le Lot-et-Garonne), Lapeyre (Aveyron), de Saint-Caprais-de-Lern, ont toutes saint Caprais comme patron de leur église.
Partout le saint y est représenté sous la forme d'un évêque.
Jamais il n'apparaît monté sur un cheval, ni vêtu d'une armure.
Le dictionnaire iconographique précité (7) liste les saints représentés dans le costume de cavaliers : Caprais n'y figure pas. (page: 783-78).
Dans une étude fouillée, parue dans la revue Mythologie Française (8), Philippe Gabet a recensé "Les saints équestres" sans jamais mentionner Caprais.
Conclusion
La statue équestre acquise à Nogent-l'Abbesse dans le but d'honorer l'autel dédié à saint Caprais, bien que portant son nom imprimé sur le socle, ne ressemble en rien à la représentation classique du martyr d'Agen.
Risquons deux hypothèses pour expliquer cette énigme soit :
-une erreur d'inscription s'est produite lors de la livraison de la statue
-l'artisan/l'atelier méconnaissait le récit hagiographique en cette époque du XVIe siècle, confondant Caprais avec un autre saint équestre comme saint Hippolyte visible dans l'église de Faverolles-et-Coemy ou encore saint-Hubert à Damery (voir : Le saint Hubert de DAMERY (51)
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Venez découvrir la belle église et son village accueillant, situés tous deux au milieu d'un vignoble où les chemins de randonnée sont variés et plaisants.
Références bibliographiques
(1) Travaux de l'Académie Nationale de Reims. Janvier 1896 page 199 Texte d'Henri Jadart.
(2) Journal Officiel Sénat du 30/10/2014 p. 2408.
(3) Notice descriptive sur le site de l'Inventaire du Patrimoine : inventaire-chalons.grandest.fr
(4) Les petits Bollandistes vie des saints T. XII d'après les Bollandistes, le père Giry Surius... par Mgr Paul Guérin.- 1876. pages 470 à 476.
(5) Histoire monumentale et religieuse d'Agen. abbé Joseph Barrère. 1855
(6) Caractéristiques des saints dans l'art populaire. Charles Cahier 1867 tome 2 page 755
(7) Dictionnaire iconographique des figures, légendes et actes des saints... abbé Migne 1850.
(8) Mythologie Française n° 144 - Janvier-Mars 1987
Remerciements :
-à Mr William Granet Conseiller municipal à Saint-Vrain pour son écoute et le partage de ses connaissances historiques sur sa commune.
-au Docteur Michel Bord Président de l'Amicale Conservatoire de l'église de Saint-Caprais de Bordeaux pour ses informations sur l'église et son histoire.
@jeanluc collignon
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