L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

ECORDAL : son église, son Christ, ses trésors

 

Ecordal 004 bis

L'église Saint-Remi d'Ecordal

 

Les richesses d'un sol

Depuis longtemps, à Ecordal, « l'homme rustique a senti son âme s'ouvrir aux influences de la religion et sa glèbe aux rosées du ciel » (1)

Le sol de cette petite commune située au nord de Rethel recèle des trésors.

 

∴ Les premiers, qu'il convient d'évoquer, se récoltent en abondance grâce à la qualité de la glèbe. Ils sont à portée de main. Quand vient l'époque où le soleil lave le ciel d'une lumière épurée, l'heure de la cueillette a sonné dans les vergers ; le temps d'une semaine, il y règne une intense activité qui remplit les paniers de cerises au printemps et de pommes à l'automne. Deux fruits qui continuent d'assurer la renommée du terroir.

 

∴ Les seconds se méritent davantage. Pour leur exploitation, ils nécessitent recherches et savoir-faire. Le Moulin à couleurs de Bonne Fontaine (2) s'est spécialisé dans la fabrication des pigments colorés depuis le XIXe siècle, il a désormais ouvert ses produits au marché international. L'extraction de la couleur obtenue à partir de la terre ardennaise est sans doute bien antérieure aux premiers signes d'industrialisation de cette entreprise installée sur les bords du Foivre depuis 1866. Il y aurait gros à parier que la "terre de Sienne" des Ardennes s'utilise depuis des lustres pour colorer murs, colonnes et chapiteaux des églises de la région. Les enchères du pari pourraient même monter d'un cran en prétendant que les murs de la nef de l'église Saint-Rémi d'Ecordal devaient être, avant leur démolition au XVIIIe siècle, couverts de fresques colorées représentant quelque scène de l'Évangile!.

 

L'hypothèse n'est pas tant hasardeuse qu'il n'y parait. Des peintures murales ont bien été mises à jour dans l'église voisine Sainte-Catherine d'Alland'huy en 1964 par le curé de l'époque, l'abbé René Marchand. Beaucoup d'édifices recevaient sur leurs murailles, cette sorte d'enduit blanchâtre, riche en chaux, à une époque où il fallait assainir les lieux fréquentés, en prévision des épidémies contagieuses. La couche chaulée recouvrait tous les motifs peints qui ne réapparaissent aujourd'hui, qu'à l'issue d'un grattage minutieux. Quant aux secrets de l'église d'Alland'huy, un prochain article tentera, ici, d'en dévoiler quelques uns.

A Ecordal, des traces de peintures, il en reste à hauteur des piliers du chœur, cependant, aucune fresque n'a été décelée à ce jour, notamment dans le sanctuaire, partie noble de l'édifice, où les scènes peintes se rencontrent le plus souvent. Mais est-on allé regarder derrière les huisseries qui habillent les murs latéraux du maître-autel?...

Une autre région de France, la Puisaye, s'illustre par ses séries de fresques religieuses. Là-bas, le sol argileux s'est enrichi d'un or en poudre : l'ocre. Il magnifie les scènes peintes aux murs des églises, avec un réalisme saisissant. Le bassin de Saint-Amand-en-Puisaye est riche d'une grosse dizaine d'églises qui méritent une visite. Les thèmes bibliques s'y succèdent, mais on y croise surtout les "trois morts et les trois vifs" qui se livrent à une "danse macabre" endiablée : scénario impressionnant!

 

A Ecordal existaient aussi des carrières où l'argile était extraite. (3)

« Dans ses COMMENTAIRES, César  fait sans doute allusion à Ecordal, quand il parle de ces villages gaulois qui fabriquent une terre grossière qu'ils vont échanger dans les pays voisins et en font commerce. La rue des Telliers rappelle aujourd'hui les fabricants de telles, sorte d'assiettes en terre cuite, d'un rouge clair ou foncé. D'ailleurs, on a retrouvé dans des carrières, d'où l'on extrayait l'argile, quantité de pots brisés, de couperons, de cruches, de bouteilles ventrues, tournées à la main avec la marne du gault. Cette industrie a depuis longtemps disparu ; toutefois les tuiles que recouvrent les maisons sont absolument locales, étant faites, avec l'argile plastique trouvée à fleur de sol non loin du village. »

Une briqueterie et une tuilerie avaient été ouvertes au village.

 

A deux pas du Moulin à couleurs, la source naturelle de Bonne Fontaine jaillit d'une roche au milieu des bois et vient alimenter, plus bas, le ruisseau du Foivre.

Dans le passé, la fontaine avait acquis une réputation miraculeuse, qui dépassait déjà les limites du terroir. On croyait que les vertus de son eau allaient rapidement supplanter celles de Spa en Belgique et de Pougues en Bourgogne. La fontaine avait la renommée de guérir les fièvres, la gravelle, les hernies et bien d'autres maladies... Les pouvoirs bienfaisants de l'eau de la fontaine au nom évocateur ne furent découverts qu'en 1640. Un manuscrit de Dom Ganneron, le célèbre chartreux historien du Mont-Dieu relate l'événement dans les Vignes d'Engaddi (3) :

« L’an 1640, il s’est découvert une fontaine miraculeuse à Escordal, gros village situé entre Rethel et le Mont-Dieu, à quatre lieues l’un de l’autre.

            Elle est dans un petit bois, à une volée de canon du village. Les anciens du lieu racontent qu’anciennement, il y avoit en audit lieu un ermite de sainte vie, qui y est aussy mort. On y alloit seulement par promenade autrefois, sans autre espérance d’émolumens, mais comme le curé du lieu, estant malade, s’allait promener audit bois pour prendre l’air, ayant veu l’eaue de cette fontaine assez agréable, il en beut et se trouva incontinent parfaitement guery. Ce qu’estant venu à la connaissance du monde, on commença d’y aborder de tous costez et c’est merveille comment chacun y guérissoit.

            On y fut une fois à si grosse trouppe que la fontaine vint à se tarir, de quoy attristé le peuple, il se mit en prières, et on veit incontinent qu’il se fit trois ouvertures en la fontaine seiche, d’ou l’eaue sortit en abondance.

            Les fièvres s’y guérissaient d’ordinaire, la gravelle, les ruptures et descentes et plusieurs autres maux, et ce qu’est encore plus admirable, j’ai ouï dire qu’on y a apporté un enfant mort né des environs de Mézières, qui en estant lavé, reçut assez de vie pour être baptisé. Un autre aveugle, y ayant lavé ses yeux, reçut la lumière.

C’est merveille de l’affluence du monde qui y abborde en esté, car cette fontaine, au rebours des autres, défaut en hiver et grossit ès plus grandes chaleurs. Si cela continue a Dieue les eaues de Spa et de Pougues. »

 

Une autre relation, (4) rapporte :

« L'eau de cette source est très estimée des malades. Elle est dépurative et légèrement ferrugineuse. On vient de loin en chercher, elle est d'une pureté extraordinaire, légèrement diurétique, on lui doit bien des guérisons dans le cas d'embarras de l'estomac. Nous avons vu des vieillards, malades décrépis, abandonnés des médecins, revenir à la santé par l'ouvrage de cette eau qui favorise la digestion. Placée dans un site charmant, elle est le but de promenades très agréables.

A l'entrée du sentier, nous remarquons sur une pancarte le quatrain suivant :

- Entrez dans la forêt sous la charmille ombrageuse

- Une fontaine y coule à l'ombre du hallier

- Et pour guider vos pas, la maladie peureuse

- Viendra timidement vous montrer le sentier

- Buvez humains car l'eau de cette humble fontaine

- Dissipe les soucis, les peines des travaux

- Malades, prenez-en, apéritive et saine

  • Elle est du créateur un remède de vos maux »
  •  

Le sol d'Ecordal renferme encore d'autres trésors.

 

∴ Le troisième de la série reste aléatoire car il repose sur des témoignages liés à la tradition. Les érudits locaux qui ont étudié l'histoire du village (5) affirment que plusieurs châteaux y ont été construits. Le principal appartenait à la famille de Coucy. Les différents seigneurs qui se partagèrent les terres résidaient soit au château Dubois, au castel de Momby, au château de la Pernière ou encore dans la maison de Longchamps.

Un autre château mérite qu'on s'attarde sur son sort bien que fort peu d'éléments le concernant restent disponibles. Il s'agit du château de Parfondrupt. Il n'en subsiste aujourd'hui aucune trace visible. Son emplacement s'identifie grâce à un lieudit qui porte toujours son nom et qui se situe maintenant sur le territoire de la commune de Charbogne.

 

En poursuivant la lecture du récit d'A. Meyrac (3)  nous apprenons que ce château « était défensif et entouré de fossés presque toujours remplis d'eau. Sur la butte, une tour, dont on aperçoit encore quelques traces, et, sous cette tour, une immense cave dans laquelle on accumulait, sans doute, les approvisionnements en temps de guerre. Ce château fut souvent pillé ou incendié, par exemple lors des invasions anglaises. Il avait alors pour seigneur Antoine Ligory de Parfondrupt, dont l'un des arrière-petit-fils épousait Antoinette de Sausseuil. En 1574, un Ligory de Parfondrupt est "officier escuyer" du roi Henri III. Lorsque les troupes du roi Henri IV assiégeaient le château d'Omont, un choc d'armée eut pour théâtre Alland'huy et Ecordal, surtout au passage du ruisseau du Foivre. Les troupes du duc de Nevers furent obligées de battre en retraite, mais incendiant villages et fermes.

Le sire de Parfondrupt avait fait hausser son pont-levis et fermer toutes les portes, toutes les fenêtres de son château. Or, l'artillerie eut vite raison de ces « défenses ». Le château fut envahi et complètement détruit ; puis son seigneur, prisonnier, était conduit à Omont où se trouvait Henri IV. L'enlèvement des châtelains avaient eu pour témoins deux serviteurs : Ponce Daubenton et Jean Verdelot. Le dernier descendant de Verdelot mourut il y a cinquante années, environ. Il affirma sans cesse "qu'un trésor immense se trouvait enfoui sous la butte de Parfondrupt" : cette tradition s'étant léguée de père en fils.»

 

A quoi ressemblait le château de Parfondrupt? Nulle image ne subsiste de la tour qui s'inspirait peut-être de celle du Donjon de Neuville-Daÿ. Elle a été bâtie, comme elle, sur butte. La construction du château de Daÿ est datée de 1243. Sous la tour existe une cave imposante, la légende s'est aussi emparée du site pour y faire naître des secrets jamais élucidés.

Le château de Parfondrupt était donc bâti sur une hauteur que la carte IGN situe à ≈ 120 m. A l'ouest, les eaux du Foivre coulent vers Givry-sur-Aisne à l'altitude de 85 m. Cette situation "dominante" présentait plusieurs avantages :

 

Parfondrupt R.jpg

 

 - une communication visuelle avec les châteaux d'Ecordal et de Charbogne. Aujourd'hui le randonneur, qui se rend sur le site, voit les clochers des églises d'Ecordal, de Charbogne et d'Alland'huy.

 

- une surveillance aisée de la vallée de l'Aisne : par temps clair, la vue porte jusqu'aux monts de Vaux-Champagne (dont l'horizon est désormais barré par un alignement d'éoliennes!) ; une situation qui permettait d'avertir le seigneur en cas de menace guerrière.

 

- la possibilité de disposer de caves profondes, saines, à l'abri de l'humidité (le ruisseau se situe à 30 m plus bas). On peut même conjecturer que la tour disposait de plusieurs niveaux de caves superposées, comme celles qui font la fierté du prieuré de Neuville-Daÿ (le bâtiment improprement appelé prieuré était une cense de l'abbaye du Mont-Dieu qui servait d'entrepôt vinicole). Dans cette hypothèse la cave inférieure avait pu être aménagée d'une niche utilisée comme refuge ou cachette. Lors de la prise du château relatée ci-dessus, après le pillage, l'incendie, la destruction, les bâtiments ont été rasés et les pierres réutilisées pour d'autres constructions. La cave supérieure a vraisemblablement été comblée par des gravats dans un mouvement de précipitation consécutif à la fureur de détruire. Mais qu'en a-t-il été des niveaux inférieurs, si ceux-ci existaient? Une interrogation qui vient s'ajouter à l'affirmation du sieur Verdelot!...Le trésor est-il toujours enfoui sur le lieu qui est maintenant un champ de culture productif (planté de maïs à l'automne 2014)?. L'endroit n'aurait jamais fait l'objet de fouilles archéologiques.

Le nom de Parfondrupt dérive du latin : profondus rivus (= ruisseau profond). L'examen hydrographique du secteur montre que le château était entouré de profonds fossés remplis d'eau. La proximité du ruisseau permettait d'en dévier partiellement le cours afin d'irriguer les aménagements creusés de main d'homme. Tout autour les noms de "Glaye", sur le territoire de Charbogne, ou de "Petite et Grande Gloye" sur celui d'Alland'huy, désignent des terres humides souvent inondées en période de crue. De part et d'autre du ruisseau, des sources viennent le grossir. Celle de "l'Arbre au Vivier" d'Alland'huy (6) (communément appelée la "bravivi" = l'abr' à vivi" en patois local), n'alimente plus désormais qu'un petit étang sur la rive droite du ruisseau dont le nom a été féminisé sur la carte IGN (la Foivre). Le docteur O. Guelliot orthographie de même (7) et ajoute : « il faudrait écrire Foive, la Favia du diplôme de Charles-le-Simple, en 906 ». Il vrai qu'un même cours d'eau pouvait jadis changer d'appellation selon le finage traversé, ceci ne facilitait pas la tâche des géographes ni, surtout, celle des géomètres.

 

A Alland'huy le Foivre prenait le nom de "ruisseau de Sainte-Catherine" dès son entrée sur la commune, puis celui de "ruisseau d'Entre Deux Terres", quelques centaines de mètres en aval, lorsqu'il traverse le lieudit du même nom. (8)  Plus simplement les paysans du lieu parlaient du "ru" pour le désigner.

 

Comme ses voisins, le seigneur de Parfondrupt disposait d'un moulin. Sur la rive droite du Foivre, en limite des communes d'Ecordal et d'Alland'huy un lieudit porte ce nom. Le sol conserve quelques vestiges d'anciens bâtiments que rien n'indique comme étant de l'époque glorieuse du château de Parfondrupt. De ce moulin ne subsiste que la cascade, ou chute d'eau appelée localement "le déversoir" qui actionnait la roue à aubes. L'endroit n'est guère connu que des autochtones et des pécheurs. Il demeure un petit paradis de verdure et de fraîcheur où l'aulne et le saule se partagent des rives ombragées colonisées par la bardane et l'ortie.

 

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 A gauche de la cascade, une dérivation du cours d'eau part à l'est vers Charbogne (ruisseau de la Vieille Eau) et rejoint le sud de la côte de Parfondrupt. Un vieux peuplier servant de borne, déjà mentionné sur l'ancien cadastre de 1813, dresse son houppier décharné.

 

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L'âme de l'Ecordalien a su très tôt s'ouvrir aux influences de la religion !

Le quatrième trésor a été remisé au fond de l'église, comme le mauvais élève au fond de la classe. Il mérite beaucoup mieux.

 

La richesse de l'église

 

Le grand Christ en croix adossé à la muraille occidentale du bas-côté sud est une œuvre «classée monument de style populaire en 1976 » (9). Il constitue une petite merveille de la sculpture locale qui peut, sans rougir, prétendre à la qualification de trésor.

 

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Descriptif :

Les dimensions du Christ sont proches des mensurations humaines. Hauteur : 1,48 m. ; écartement des bras : 1,15 m. ; hauteur de la tête : 0,255 m. ; largeur : 0,125 m.

La pièce a été sculptée dans un bois de chêne (tiré de la forêt proche ??). Elle conserve des traces de polychromie nettement visibles dans la concavité des plis : peinture blanche et rouge.

Les bras sont en forme de V peu prononcée et non parallèles à la traverse comme chez les Christs romans (voir article sur les Christs habillés);

La tête est légèrement inclinée sur l'épaule droite.

Le corps est longiligne, les membres faiblement musclés. Le côté droit (ouvert par la lance du centurion romain Longin) laisse apparaitre une plaie béante.

Les genoux sont faiblement écartés et les pieds sont en rotation interne ; le droit couvrant le gauche, tous deux percés du même 

 

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Le périzonium (pagne) est ajusté étroitement aux hanches Ses plis non flottants sont grossièrement sculptés. Le tissu figuré sur la sculpture se fronce en plis épais et horizontaux, trois pans retombent : deux en chute latérale et un médian.. Cette représentation démarque le Christ d'Ecordal des autres modèles. La longue tunique ou colobium qui habillait les Christs romans n'est plus représentée après le XIVe siècle.

 

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Les paupières ne sont pas closes, une barbe mi- courte bifide allonge le visage dont la bouche s'entrouvre sur un rictus de souffrance ; les cheveux longs retombent en tresses sur les épaules. La couronne d'épines est un ajout récent.

Les mains sont clouées à la traverse (patibulum) à l'aide de gros clous qui perce la paume. Les doigts sont repliés.

 

Depuis les travaux qui ont été menés de 1932 à 1935 par le Docteur Pierre Barbet, chirurgien de l'hôpital Saint-Joseph à Paris, la preuve a été faite que la crucifixion ne pouvait être réalisée de cette manière. (10). Ce chirurgien, également médecin légiste, s'est livré à des reconstitutions de crucifixion à l'aide de cadavres humains et a démontré que les paumes clouées se déchiraient sous le poids du corps. Les clous étaient enfoncés, en réalité, au niveau des poignets, ce qui, en les déchirant, contractait les tendons des doigts qui se repliaient à la manière des doigts à ressaut. Il a aussi démontré que les crucifiés mouraient asphyxiés (voir également ses études sur le saint Suaire de Turin).

 

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Le positionnement du Christ en croix, tout à proximité des fonts baptismaux, pourrait résulter d'une volonté à vouloir résumer la vie du Christ depuis son baptême jusqu'à sa mort.

L'explication n'est sans doute pas la bonne. De toute évidence la place de Jésus en croix est ailleurs, dans l'église. Souvent le Christ apparait au centre d'une poutre de gloire qui barre l'arc triomphal. Il est entouré de la Vierge Marie et de saint Jean. Une poutre de gloire a bien existé à Ecordal comme l'atteste les marques des anciens points de scellement aux deux piliers de l'avant-nef ; sur la vue d'une carte postale ancienne, on aperçoit la poutre de gloire en fer forgé, plus exactement dénommée dans ce cas : tref ou trabe.

 

cpa Ecordal bis.jpgPhoto du web sur le site www.Delcampe.fr

 

La structure allégée du tref ne permettait guère de supporter le poids du grand Christ, à fortiori celui de trois statues, à supposer que les deux autres aient existé. Sur la photo ci-dessus, il est vrai que le lustre du premier plan masque le centre du tref.

L'historique de l'église révèle que la nef est restée sans bas-côtés jusqu'en 1776. Cette année-là, ses murs latéraux ont été abattus pour permettre la construction de collatéraux afin d’accueillir les fidèles toujours plus nombreux. Le plafond de la nef a été dès lors soutenu par des piliers de bois stuqués à la manière des colonnes ioniques toscanes, dont les chapiteaux reproduisent le modèle. C'est aussi à cette occasion, que, n'ayant plus place dans la nef, le crucifix a été déménagé et relégué au fond de l'église.

Car sa position de départ était bien d'être adossé au mur latéral sud (côté épitre) face à la chaire à prêcher, qui, de même, a été avancée jusqu'au pilier du chœur. Le prêtre qui montait en chaire s'exprimait alors sous le regard du Christ devenant, si besoin était, source d'inspiration!

La question de la datation du grand Christ d'Ecordal est délicate en l'absence de traces ou de documents écrits. Il peut être rapproché, pour comparaison, avec la quinzaine de Christs ardennais datés et publiés sur la base Palissy / Mérimée des Monuments Historiques, ou pour tout l'hexagone : 5800 références (11).

Comme le rappelait l'auteur de l'étude sur la statuaire mariale ardennaise (12) « le style d'une œuvre ne permet généralement pas de fixer une date précise ; tout au plus une époque ou une fraction d'époque. Par ailleurs, lorsque le sculpteur n'a pas fait œuvre originale, il a pu s'inspirer d'un modèle ancien qu'il a recopié avec plus ou moins de bonheur, d'exactitude et de maladresses. C'est souvent le cas pour l'art dit "populaire" ou "paysan" qui favorise moins que tout autre une détermination précise. Il faut alors savoir douter, se contenter d'à-peu-près ou avouer son ignorance

L'absence de maniérisme dans la posture du Christ et son déplacement au fond de la nef en 1776 permet de rejeter une époque baroque pour proposer une datation qui est donc antérieure à cette période. Le positionnement de la tête peu inclinée, les yeux mi-clos plaident pour une date ancienne. Les pieds toutefois ne reposent pas côte à côte sur le suppedanum comme à l'époque romane et les doigts sont déjà repliés. Le Christ de Hierges daté du XVIe siècle se présente de façon similaire mais la musculation du corps est sculptée avec davantage de relief. Au vu d'autres exemples aubois ou marnais l'œuvre s'identifie aux Christs des XVIe et XVIIe siècle. Elle éveille une réelle émotion qui ne laisse pas le pèlerin indifférent : le sculpteur a atteint son objectif! (13)

 

- (1) Chateaubriand : Génie IV 1, 7

- (2) voir le site :

- (3) Cité par Albert Meyrac dans sa Géographie des Ardennes page 724 - édition du 30 novembre 1899

- (4) Archives Départementales de la Marne G281 9e - relation du curé Vitter

- (5) Désiré Boizet - Histoire d'Ecordal  - 1894 - Attigny - Déroche-Chatelain

- (6) C'est à cet endroit, jadis exploité comme gravière, que fut trouvé un ossement de bassin d'un mammouth par Mr Donatien Thirriard en juillet 1905. L'ossement est conservé au musée de la S.H.N.A de Charleville-Mézières voir son bulletin tome XII 1905 page 34 ou le site : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5721702s/texteBrut

- (7) Dr Octave Guelliot - Géographie Traditionnelle et Populaire du Département des Ardennes - réédition Guénégaud  - page 61

- (8) voir plan cadastral de 1813 Alland'huy Parcellaire B1 sur site cg08 archives en ligne  http://archives.cg08.fr/arkotheque/consult_fonds/fonds_seriel_resu_rech.php?ref_fonds=2

 - (9) Rapport de l'Abbé René Marchand  du 5 mars 1976 dans Revue Historique Ardennaise Tome XII Année 1977 page 198.

 - (10) La Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon le chirurgien. - 1950 - Dilien et Cie éditeurs - Issoudun - 221 pages

- (11) site : :

- (12) Jean Sery dans L'évolution de la Statuaire Mariale du Moyen-Age à nos jours. L'exemple ardennais. - 1977.

- (13) Henri Manceau. L'Automobilisme Ardennais. L'église romane de Sorcy - Le Château de Jandun - avril 1955, N° 101 - pages 14 et  15,  accorde un court commentaire à « ce Christ en bois, du Moyen-Age, de l'église d'Ecordal, [ qui ] peut figurer parmi les chefs d'œuvre de notre statuaire nationale. Un très grand artiste l'a sculpté » 

 

 

Fiche technique pour une visite de l’église Saint-Remi d’Ecordal

 

                C’est une composition architecturale hétérogène qu’offre aux visiteurs l’église Saint-Remi d’Ecordal. Malgré son aspect massif, la construction n’est pas dépourvue d’harmonie. La belle tour carrée plantée à la croisée du transept et la large nef couverte en bâtière en témoignent.

 

                1. L’architecture

 

Les parties les plus anciennes sont à rechercher au niveau des piliers du chœur.

Ceux-ci conservent deux colonnes à chapiteaux aux corbeilles ornées de crochets et d’un motif végétal stylisé, ils évoquent le XIIe ou le début du XIIIe siècle.

Dans un article paru dans la Revue Historique Ardennaise [voir (9) ci-dessus], l’abbé Marchand y voyait une corrélation avec la date (1108) d’une charte dans laquelle un dénommé Henri d’Escordal y était cité.

 

La paroisse est placée sous le vocable de saint Remi (Remy).

L’abbaye bénédictine rémoise avait acquis ici des possessions et nommait à la cure "depuis toujours". Elle n’y possédait toutefois pas de cens entre le IXe et le XIe siècle. Ecordal n’apparait pas au polyptyque de l’abbaye pour cette période.

 

Le transept est une reconstruction du XVIe siècle.

La nef a été refaite en 1776. Ce parti pris donne au vaisseau, avec ses fausses ogives, une allure antiquisante.

A noter qu’avant cette transformation, l’édifice avait été fortifié au temps des guerres invasives et qu’il conserve aussi maintes traces de restaurations de toutes les époques

 

2. Le mobilier

 

Le maître-autel est dédié à saint Remi.

La statue du saint évêque est nichée à gauche de l’autel (à droite pour le visiteur). Saint Remi est représenté mitré et crossé.

Sa main droite tient un objet aujourd’hui disparu (ce pourrait être la Sainte Ampoule). Il porte sur la poitrine le rational pour le différencier de ses évêques suffragants. Ce morceau d’étoffe carré, orné de douze pierres, rappelle les douze tribus d’Israël. Le port du pectoral est un privilège hérité du grand prêtre des juifs.

Logée dans la niche opposée, une statue de la Vierge de la Médaille Miraculeuse lui fait pendant. Le maître-autel et son baldaquin porté par quatre colonnes en marbre, sont du XVIIIe siècle. L'art baroque de ce siècle investit les autels des églises et les pare d'ornements riches en dorure et sculptures fouillées. Malheureusement la partie sommitale du baldaquin d'Ecordal a été démontée en 1960 ainsi que ses trois étages de volutes. Il ne subsiste que les consoles à enroulements inversés qui cantonnent la niche du retable et la gloire rayonnante dans laquelle s’ébattent trois chérubins en adoration devant un cœur enflammé, que surmonte une croix. La gloire a été fixée à la muraille du chevet.

 

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                La statue en pierre d’une Vierge à l’Enfant du XVIIIe siècle occupe la niche centrale. L’Enfant Jésus n’est pas appuyé sur le genou de sa mère, comme sur de nombreuses représentations de cette époque, mais il incline son corps vers l’avant comme s’il voulait bondir hors du giron qui le retient.

 

                De part et d’autre du maître-autel, deux panneaux peints représentent saint Pierre, au nord et saint Paul au sud. Ils tiennent tous deux leur attribut caractéristique.

 

                Placées en hauteur, deux statues figurent des évêques portant le Livre des Écritures ; ils sont mitrés et tiennent la crosse épiscopale. L’inscription de leur support les identifie, sans certitude, comme étant saint Éloi et saint Hubert.

 

                Autour de l’autel majeur, les boiseries et les stalles témoignent d’une époque glorieuse, désormais révolue.

Derrière la grille de chœur, posée sur le sol, la statue de sainte Anne instruisant sa fille, Marie, évoque un épisode de la vie de la Vierge. En vis-à-vis, sur la droite : la statue de saint Antoine de Padoue.

L'autel latéral sud, lui aussi baroque, est dédié à saint Remi.

Sa statue polychrome est remisée dans la niche centrale du retable. Un bras et une main ont été mutilés. Sur sa poitrine l’évêque porte, ici, la croix du Christ. Ses initiales "S" "R" sont peintes sur le mur. Un auteur prétend que le roi Clovis aurait cédé au grand évêque rémois, vers l’an 500, les terres d’Ecordal qu’il venait de conquérir.

                Le transept sud héberge le buffet d’orgue du XIXe siècle. Il n’y subsiste que la menuiserie ; tuyaux et sommiers n’ont pas été réparés au lendemain de la guerre 1914/18. Un Christ en croix a été placé en façade de l’orgue.

L’autel latéral nord est dédié à la Vierge ;

sa composition architecturale est identique à celle de l’autel sud. Une statue de la Vierge à l’Enfant occupe la niche centrale. L’Enfant Jésus bénit de la dextre et pose sa main gauche sur le globe terrestre que tient Marie couronnée. L’Enfant donne ainsi un signe prémonitoire de sa venue sur terre pour accomplir sa mission de Sauveur de l’Humanité ;

Les initiales mariales "A" "M" (Ave Maria) tapissent le mur autour de la statue.

A noter que le monogramme marial est aussi l'emblème des Sulpiciens, les lettres A M entrelacées résument la formule latine " Auspice Maria" qui signifie : sous la protection de Marie.

 

                A Gauche, relevée contre le mur, la dalle funéraire du Sieur Jacques d’Ivory rappelle le souvenir de ce seigneur pour partie d’Ecordal, mais aussi d’Ambly, de Parfondru, de Vieux-Dampierre etc…Il était l’un des fils de Charlotte de Coucy. Ecuyer, il était lieutenant du roi encadrant une compagnie basée à Vitry. Il avait épousé en 1591, Bégnine de Vernier, la fille du gouverneur de cette ville. Il est décédé le 23 mars 1612.

 

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Adossé au mur du collatéral sud, un troisième autel secondaire porte une dédicace à Notre-Dame de Lourdes. Une statue de la Vierge dans son Immaculée Conception domine l’autel. A ses pieds, Bernadette Soubirous, à genoux, écoute pieusement le message de la reine des cieux. Le monogramme de la Vierge est répété ici aussi sur un bandeau au milieu de motifs floraux affichant sa pureté virginale.

Deux anges porte-flambeaux (céroféraires) encadrent la composition.

                                       

 

                Au fond de la nef, un Christ en croix est classé M. H. depuis 1976. Il a été taillé dans un chêne. Son positionnement dans l’église devait se situer face à la chaire à prêcher. Celle-ci est une belle pièce de menuiserie avec cuve et abat-voix hexagonaux. Des motifs sculptés décorent l’entourage des panneaux nus. Deux consoles artistement travaillées épaulent le dosseret.

 

                La statuaire de l’église présente saint Joseph et Jésus sur son bras, le Sacré Cœur ou encore une Vierge à l’Enfant de type Notre-Dame des Victoires où, surplombant des nuages, la Vierge présente son Fils debout sur un globe constellé d’étoiles. Il s’agit d’une représentation très prisée au XIXe siècle.

 

                Les fonts baptismaux en marbre veiné bicolore (XVIIIe siècle ?) ont été réinstallés dans le bas-côté sud. La cuve est à double vasque et se pare d’un motif à godrons sur son pourtour.

 

                Les stations du chemin de croix relatent la Passion du Christ dans une composition peinte sur quatorze tableaux.

 

CHEMIN DE CROIX érigé en 1862 par M.Fossier, curé doyen de Tourteron, en présence de MM. Ch.Sauvage, chanoine honoraire curé  d'Ecordal, Langlois, curé de Suzanne, Pierrard, curé de Sorcy, Dejardin, curé d'Alland'huy.

 

Partiellement détruit par les obus allemands en 14-18. Restauré en 1930 par M.Ch.Rivet, élève de Léon Bonnat, chevalier de St.Louis de Versailles. Replacé solennellement dans cette église par M. Saunier, curé-doyen de Tourteron, le 29 Mars 1931, jour des Rameaux, en présence de M. Aubry, curé de Charbogne, Gendarme, curé de Mazerny, Cabaret, curé de Baâlons, Simon, curé d' Ecordal

 

 

 

 

                Les fenêtres cintrées des bas-côtés filtrent la lumière du jour au travers de magnifiques vitraux réalisés par l’atelier rémois de Mme Veuve Léopold De Troeyer et de ses deux filles (*) Ils ont été réalisés dans les années 1930 et illustrent les thèmes de :

                -l’Annonciation

                -la Nativité avec l’Adoration des bergers

                -Jésus au milieu des Docteurs

                -la Résurrection

                -la mission des Apôtres

                -la Pentecôte

 (*) sur l'atelier De Troeyer voyez l'article consacré à Condé-les-Vouziers : CONDE-LES-VOUZIERS : un vitrail inspiré par Rubens ?

 JLC

 



24/03/2021
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