CHUFFILLY-ROCHE : l'insolite sur son église
Débris cachés d'un trésor roman en trois actes
Acte 1 : Chuffilly-Roche et son église Saint-Pierre
Le modeste édifice essentiellement refait au XVe siècle a subi beaucoup de remaniements. Ce qui séduit le visiteur, ce sont ses restes romans. Ils méritent le détour à coup sûr ! L'intérieur de cette église recèle encore quelques richesses d'une autre époque qu'il faudrait évoquer. Mais aujourd'hui la vieille bâtisse ne s'approche plus, tant elle menace ruine. Les autorités municipales en ont interdit l'accès pour raisons de sécurité bien compréhensibles.
Ici l'insolite ne se cache pas à l'intérieur de l'édifice, pas besoin d'avoir le nez collé à la muraille, fut-elle extérieure ; non, l'objet de curiosité s'observe de loin... à condition d'être attentif!
C'est la façade occidentale qu'il convient d'examiner. A hauteur du point d'ancrage des fils électriques (ou téléphoniques ?), une petite tête de personnage apparait en saillie, coincée entre deux moellons de pierre. La sculpture, elle aussi en pierre, mais bleue, s'est laissée envahir par les lichens avec leurs couleurs mordorées, qui, sous le soleil couchant d'automne, lui donneraient presque un air de masque aztèque. Cependant le dessin est trop frusque pour entretenir la confusion.
Le visage est plus ébauché que fini artistiquement. Deux plateaux taillés en demi lune servent, l'un de calotte crânienne, l'autre de menton embarbé. Les yeux sont matérialisés par deux amandes plaquées de part et d'autre d'une excroissance rectiligne sensée reproduire l'arête du nez. La bouche, simple fente perpendiculaire, n'esquisse aucune manifestation intérieure chez ce personnage énigmatique !
A l'angle opposé du mur, la même sculpture, taillée selon le même procédé. Qui sont ces deux personnages ? Le jour de ma visite, un vacancier de passage, guide Michelin en bandoulière, -sûrement un touriste lancé sur les traces d'Arthur Rimbaud- optait pour saint Pierre, le patron de l'église et de son inséparable compagnon biblique, saint Paul. Pas sûr !
Acte 2 : Annelles et son église Saint-Sulpice
Notre enquête nous conduit à quelque distance, plus au sud, dans le village d'Annelles. Ici, finie la fraîcheur des frondaisons entourant la marre de Chuffilly, toujours couverte de lentilles d'eau. Avant le départ, admirez quand même sa source, la fontaine Saint-Pierre, et son édicule à dôme; il est planté au milieu de l'eau, et habité par les pigeons.
A Annelles c'est la vraie Champagne avec sa craie blanche, qui par temps de pluie, restera fidèle à vos chaussures et à la carrosserie de votre voiture surtout si elle est noire !
Au milieu du village l'église ne pourra vous échapper car elle est atypique. La guerre en est la cause et son architecture hétérogène, la conséquence. De l'origine du XIIIe siècle, il ne subsiste que la belle tour et ses carreaux de craie et encore...avec des traces de restauration ! Les autres parties : nef unique, et chevet plat, sont de 1956 conformes au plan de l'architecte Romain Delahalle et... tout en béton. Là encore, il conviendrait de s'attarder sur le mobilier de l'église fort intéressant.
Poursuivons notre investigation. Pour ce faire, il est nécessaire d'entrer dans l'église. Demander la clé en contactant la mairie, se faire accompagner (toujours !) et pénétrer dans la vaste salle sous la tour. Beaucoup de visiteurs y passent sans remarquer l'objet de notre sujet. (comme lors du circuit des "Eglises Accueillantes" du 18 août 2013 : à ce propos voir ma notice éditée par l'Office du tourisme de Rethel et aussi l'article de presse paru dans le journal l'Union).
Dans cet espace, sorte de narthex, précédant la nef, le mur sud présente dans sa hauteur une petite niche habitée par la tête d'un personnage. Un air de famille avec ceux de Chuffilly se détecte immédiatement : même calotte, même menton, nez et bouche identiques, seules les arcades sourcilières apparaissent plus proéminentes. Surtout, le matériau est de même nature qu'à Chuffilly : du calcaire dur de couleur bleu gris.
Interrogés sur l'identité de ce personnage plusieurs personnes du lieu évoquent la possible effigie de saint Sindulphe, ermite et patron de l'église voisine d'Aussonce, d'autres suggèrent les restes d'un buste de Charlemagne ?
Acte 3 : Tarzy et son église Saint-Cyr et Sainte-Julitte
Changeons totalement de secteur et dirigeons nous dans le canton de Signy-le-Petit ; ce déplacement sera pour vous, comme pour moi, un excellent prétexte pour découvrir le charme des routes ardennaises.
J'avoue moins connaitre les églises de ce secteur et pour guide, j'emporte, sous le bras, l'ouvrage d'André Meunier: "Les Ardennes de clocher en clocher" 2002. Je le recommande, il est pratique, les lieux sont classés par ordre alphabétique, par canton. Est-il toujours disponible à la vente ? Je l'ignore !
Là encore nul besoin d'entrer dans l'édifice ! Mais, si toutefois, certains dimanches d'été la porte se laisse franchir, alors engouffrez-vous y, vous ne serez pas déçus !
Longez l'extérieur de la nef, côté nord et levez les yeux. Un fragment de pierre bleue apparait entre les deux baies géminées restaurées. Cette fois point de tête de personnage, mais celle d'un chat... ou de ce qui y ressemble ! En fait n'apparait que la moitié de la tête comme si elle était fracturée verticalement. Au niveau de l'oreille droite (on voit la tête de face), s'échappe une sculpture ondulante qui n'est autre qu'un fragment de palmette.
Résolution de l'énigme
Quel mobilier liturgique possède donc des têtes masculines saillantes et une décoration animalière à figure léonine ?
Ces trois fragments en pierre bleue calcaire dite de Meuse appartenaient à des fonts baptismaux romans aujourd'hui disparus. Les restaurateurs de ces édifices ont eu la bonne initiative d'inclure dans la maçonnerie les restes fragmentaires d'une cuve baptismale locale, sans doute trop endommagée pour être conservée. Grâce à ce parti intelligent, nous conservons le souvenir d'un mobilier liturgique ancien sur lequel il convient maintenant de se pencher. Poursuivez la lecture avec l'article : quelques cuves baptismales romanes des Ardennes.
Notons que ces débris romans avaient été repérés depuis longtemps par l'archéologue allemand Patrick Ostermann qui fit une étude savante de l'architecture romane des églises ardennaises dans les années 1998. Quant au fragment de Tarzy, il est signalé par Henri Manceau dans la célèbre revue de l'Automobilisme Ardennais (n°115, page 17 - année 1957 : Grandeurs et Misères des Vieilles Pierres Ardennaises)
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