PAUVRES : une église qui éloigne les coups de foudre.
Cap sur Pauvres
Choisir Pauvres comme destination d'excursion n'est pas à priori une décision prometteuse ... d'enrichissements ! il est pourtant possible d'éprouver un coup de foudre pour cette localité attachante.
Le nom du village, attribué dès le Moyen-Age, laisse deviner que les habitants de l'époque étaient de miséreux serfs vivant dans le dénuement et l'indigence. Si certains d'entre eux inspiraient à l'évidence pitié et compassion, d'autres suscitaient l'estime parce qu'ils savaient tirer parti d'une terre infertile.
La riche abbaye Saint-Remi de Reims l'avait compris en acquérant des parcelles qu'elle faisait exploiter par des manants du cru. A noter que ces acquisitions ont dû intervenir après le XIe siècle puisque le polyptyque de l'abbaye dressé du IXe au XIe siècle ne mentionne pas Pauvres dans la liste de ses possessions.
Au début du XIIIe siècle (le 30 mars 1202 précisément) l'abbaye passe un accord avec le comte de Rethel, Hugues II, qui revendique un droit de gîte à Porra, village appartenant à ladite abbaye. D'autres accords interviennent entre les comtes de Rethel et l'abbaye rémoise au sujet de Pauvres. Hugues III, le fils du précédent, s'adresse au Père abbé, pour faire valoir ses droits à Porra (septembre 1241). Le comte avait déjà entrepris la même démarche en novembre 1236 au sujet des forêts du terroir.
Comme ailleurs l'orthographe du nom du village évolue au fil des siècles.
Sont plusieurs fois cités : Pauper in Campania (avril 1464) ; Paure ; Paurra ; Paure-en-Champaingne ; Povre ; Pauvre (pauper en latin)
L'historien du Vouzinois, le docteur Octave Guelliot déplore qu'on ait cru longtemps que «Pauvre (il l'écrit sans "s" ! ) devait son nom à la misère des habitants, alors que l'orthographe primitive est Paure, en latin Polra» (1)
Le terme voisin Polre dérive du latin médiéval et a donné Polder, terre marécageuse asséchée, qu'il est bien difficile d'intégrer à la Champagne blanche.
Un autre auteur, le docteur Harlin, affuble au XIXe siècle le village d'un slogan peu flatteur : «Pauvre de nom, pauvre d'argent, pauvre de mœurs». Tant de qualificatifs de pauvreté sont sans doute à l'origine du pluriel donné au village qui s'écrit bien désormais : Pauvres!
Ce qui est sûr, c'est que la dénomination a été longtemps : Pauvre-en-Champagne.
Le suffixe "en Champagne" a été ajouté à plusieurs noms de villages parce qu'ils étaient situés aux lisières de la plaine. Tel est le cas pour Vaux-Champagne, Saulces-Champenoises, Saint-Loup-en-Champagne etc...
Comme Pauvres, beaucoup de localités ont perdu l'appellation distinctive "en Champagne" et ceci dès le XIVe siècle. C'est notamment le cas pour Bignicourt ou Scay-en-Champagne, village disparu, réduit aujourd'hui à une ferme à l'écart de Semide en bordure de la route départementale D977.
La contrée se situe au cœur de la Champagne crayeuse qualifiée de sèche par les géographes ou de "Pouilleuse" par ces derniers, aux siècles précédents.
L'expression d'Hippolyte Taine - historien philosophe du XIXe siècle, né à Vouziers - a été citée maintes fois pour décrire la plaine crayeuse qui s'étend à perte de vue vers l'ouest lorsque, venant de Vouziers, est franchie la butte de Bourcq :
«Le blanc cru, crayeux de la Champagne est horrible ; l'effet prosaïque est complet ... Nulle autre couleur que le blanc dur, cru, blessant de la craie» mais il ajoute un bémol : «Une campagne bariolée de cultures jaunâtres et de jachères grises, rayées comme un vieux manteau de roulier qu'on aurait crevé par place et raccommodé avec des lambeaux d'une autre étoffe» (2)
Il y a longtemps que l'image s'est dépouillée de ses oripeaux. Les pineraies plantées au XIXe siècle, auxquelles on reprochait de masquer l'horizon, ont été arrachées et le savart conquis, pour laisser place à un paysage de culture semi-intensive.
Il est vrai que dans les temps anciens le savart régnait en maître sur les affleurements de craie avec une plante de prédilection dans ce milieu xérophyte : le thym serpolet.
Caractéristique des terres infertiles sèches qu'il colonise, le serpolet porte aussi le qualificatif de pouilleux. Le pouillot ou pouillu en langue vulgaire aura sans doute servi de qualificatif pour désigner la Champagne Pouilleuse.
Le docteur Guelliot s'insurge contre cette assertion :
«Pouilleux, un qualificatif dont le sens est très net : pauvre, misérable. C'est bien à tort qu'on a cherché d'autres interprétations. Celui-ci lui a donné le sens de dépouillé, à cause du peu d'épaisseur de la couche arable. Celui-là explique : Champagne pouilleuse, qui ne produit pas pouille (?) Plusieurs ont pris l'effet pour la cause, croyant que la contrée prend son surnom d'une plante, le pouilleux, pouillot ou pouillu, nom vulgaire du thym serpolet...» (1)
et d'ajouter que plusieurs régions françaises sont qualifiées de pouilleuses (Beauce, Brie, Vexin... )
Le savart réjouissait au moins le botaniste qui y identifiait au milieu des plants de pouillots : l'anémone pulsatile, le lin à feuilles menues, l'ononis natrix (coqsigrue en langue vulgaire), la coronille bigarrée, l'orphrys, la campanule agglomérée ou encore la linaire couchée... la liste n'est pas close!
Cette lande stérile que l'ardennais appelle "triot" * était terre d'élection pour pratiquer l'élevage du mouton, très friand de ce serpolet.
Une enquête de l'Intendance de Champagne montre qu'en 1773 le nombre de moutons s'élevait à 17350 pour la Champagne Pouilleuse, soit une densité moyenne de 35 par kilomètre carré (sept fois plus forte que les bêtes à cornes). Ainsi les proches villages de Machault et de Perthes comptaient chacun plus de mille têtes au XVIIIe siècle.
* qui a donné le verbe "détriocher" en patois ardennais qui signifie nettoyer un terrain des mauvaises herbes, en le binant.
Au centre du village : à l'intersection des routes, ce panneau indicateur désignant malicieusement la direction de Machault (sans rapport avec les accessoires tricotés autrefois à la main ! ...) photo : Google Earth
L'étude effectuée par M. Feucher, directeur de l'école de Pauvres en poste en 1959, révèle que 250 bêtes à laine sont recensées à la fin du XVIIIe siècle dans son village.
A la veille de la guerre de 1939 le cheptel n'est plus que de 155 moutons, il tombe à 9 en 1953.
Outre l'embauche des bergers saisonniers, la laine de mouton faisait travailler de nombreuses personnes. Les hommes peignaient et les femmes tissaient.
Au village voisin de Leffincourt, l'église est placée sous le patronage de saint Blaise, le patron des cardeurs de laine. Là, le jour de la fête du saint était jadis chômé et donnait lieu à des réjouissances.
Un rémois patron de l'église
L'église de Pauvres est placée sous le patronage de saint Timothée. Pour beaucoup ce nom résonne d'une tonalité particulière en lien avec les épîtres pauliniennes du Nouveau Testament. Timothée y est le disciple de Paul de Tarse qui lui adresse deux épîtres pastorales. Timothée deviendra l'évêque d'Ephèse où il subira le martyre par lapidation avant de mourir en l'an 70.
Mais le saint Timothée des épîtres de Paul n'est pas celui qui a donné son vocable à l'église de Pauvres.
Ici le personnage est rémois. Son hagiographie est toutefois empreinte d'une part légendaire, devenue si puissante qu'elle se transforma en vérité et inspira les historiens pour écrire sa vie (vita).
Timothée viendrait d'Orient. Il aurait été le premier martyr du diocèse de Reims avec deux autres personnages devenus ses disciples : Apollinaire et Maur.
Saint Timothée, prêtre, porteur du Livre des Evangiles et tenant la palme du martyr (église de Pauvres)
Leur aventure se situe au 1er siècle. A cette époque la cité rémoise est toujours sous domination romaine ; elle est dirigée par un gouverneur-juge qui vient de recevoir le titre de préfet (prœfectus) en remplacement de celui de lieutenant-général-legatus, il s'appelle Lampade.
A Rome l'empereur Néron (37 ; † 68) règne en despote.
En sa qualité de prêtre évangélisateur, Timothée exprime avec beaucoup trop d'ardeur son militantisme chrétien dans la cité rémoise aux yeux du préfet Lampade. Le gouverneur le fait arrêter et le jette en prison sans manquer de lui administrer quelques tortures pour l'inviter à changer sa manière de penser. La méthode est classique à l'époque : versement de vinaigre et de chaux vive sur des plaies ouvertes.
Le bourreau chargé de la basse besogne se nomme Apollinaire. En visitant le prisonnier dans son cachot, le bourreau aperçoit un jour deux anges qui parlementent avec Timothée : ils lui promettent une couronne de pierres précieuses pour la mort qui se profile.
Peut-être séduit par la perspective d'une riche récompense, Apollinaire fait le serment de se convertir au christianisme et va l'annoncer à son maître Lampade. La réponse du préfet en colère ne tarde pas, il inflige une sévère punition au bourreau en ordonnant qu'on lui verse du plomb bouillant dans la bouche. Ce faisant un miracle se produit, le liquide devient froid comme glace. La population venue en grand nombre assister à la punition publique, comme il était de règle, est témoin du miracle. Nombreux sont ceux qui réclament le baptême sur le champ. Pour administrer le sacrement à la foule, un prêtre est dépêché sur les lieux : c'est Maur.
En représailles, le préfet, dont la colère est décuplée, ordonne la décapitation de cinquante personnes parmi les nouveaux baptisés. L'histoire a conservé la date du massacre : le onzième jour des calendes de septembre.
Le lendemain Lampade juge Timothée et Apollinaire, ils sont condamnés à périr par le glaive. Ils reçoivent la sentence dans un lieu nommé Buxitus (=le buisson). Cet endroit est aujourd'hui connu sous le nom de La Pompelle. (à la sortie de Reims en direction de Châlons-en-Champagne, sur la RN44, commune de Puisieulx). Le nom de La Pompelle fait référence à une procession qui, jadis, avait lieu ici «en petite pompe» jusqu'à la croix qui commémorait le martyre des deux saints.
La vita raconte que le corps des deux martyrs fut recueilli par un autre rémois dénommé Eusèbe qui leur dressa un tombeau auprès duquel s'opérèrent de nombreux miracles.
A l'époque de Charlemagne, l'archevêque Tilpin (769 - 784) leur élève un sépulcre en or et en argent dans l'église de Reims érigée en leur mémoire. Au-devant, l'autel est consacré à saint Maur. Bien antérieurement à cette dédicace, saint Remi, le grand évêque, avait déjà fait don d'un vase en argent pour cette église et il avait exigé dans son testament que ses propres restes rejoignent ceux des deux saints martyrs.
Pour enrichir l'église et favoriser le culte des trois saints, Gondebert et sa femme Berthe avaient donné une ferme du nom de Perthes, sise dans le pays de Voncq. (in pago vontinse indique Flodoard au Xe siècle).
En 960, l'archevêque Artauld offre les reliques de saint Timothée au roi Otton qui les dépose en Saxe. Les reliques de saint Apollinaire sont confiées au monastère d'Orbais (Marne) qui dépend de Soissons à l'époque.
L'église Saint-Timothée et Saint-Apollinaire de Reims sera détruite à la Révolution, mais le précieux reliquaire a pu être transféré à la basilique Saint-Remi. Une statue y représente saint Timothée en tenue de diacre comme à Pauvres.
Pour certains historiens rémois du XIXe siècle, comme Prosper Tarbé (3), les trois saints ont été victimes des barbares et ont été massacrés en 217, les restes de leur corps n'ayant été découverts qu'en 1650.
A Reims, il ne subsiste aujourd'hui qu'une place pour honorer la mémoire de saint Timothée.
La fête des saints Timothée, Apollinaire et Maur se célébrait le 23 août dans le diocèse. A Pauvres, elle a été reportée en septembre à la demande des habitants pour raison de commodité.
Peu d'églises dans le diocèse de Reims ont choisi Timothée et Apollinaire comme saint patron; parmi elles figurent :
dans la Marne : Gueux, Vandeuil, Romain, Dizy
dans les Ardennes : La-Neuville-les-Wasigny, Perthes, Pauvres.
A signaler que les évènements en partie légendaires relatés ci-dessus ont été retracés dans 28 scènes, sur une série d'émaux réalisés en 1663 par un atelier de Limoges sous la direction de Jules Laudin. Les émaux sont conservés dans deux vitrines présentées au public en salle 13 du musée Saint-Remi de Reims.
Une des 28 scènes des émaux du musée rémois
Un bâtiment d'origine romane
A Pauvres, l'édification d'un bâtiment affecté au culte chrétien n'a probablement pas été effective dès le début de l'évangélisation de la contrée ardennaise, les historiens la situent au Ve siècle, malgré l'installation d'un premier évêque (saint Sixte) dès le IIIe siècle (vers 260).
En Champagne comme ailleurs «c'était comme si le monde entier se libérait, rejetant le poids du passé et se revêtant d'un blanc manteau d'églises» (Raoul Glaber début XIe siècle).
Les premiers sanctuaires, sorte de simples oratoires, étaient construits en bois, ils laissèrent place à des bâtiments plus solides en pierre magnifiés par l'art roman.
L'église Saint-Timothée conserve de cette époque sa tour et son abside.
Un examen rapide de la bâtisse décèle les traces de nombreuses modifications et l'accumulation de transformations successives qui ont changé la physionomie du bâtiment originel.
La tour devait s'élever jadis beaucoup plus haut. Les traces anciennes de larmiers subsistent sur toutes ses faces.
Les toitures du transept nord et de l'ancienne nef étaient, elles aussi, plus élevées. L'appareillage des moellons des pignons nord et sud de la tour témoigne de modifications que les restaurateurs ont tenté de minimiser en réemployant colonne et chapiteau ou en coiffant le clocher d'un toit en bâtière qui était une coutume en Champagne.
A l'évidence la nef est de construction nettement plus récente avec ses murs de briques rouges ; ces derniers conservent eux-aussi des marques de modifications tardives.
Comme la nef, le chevet polygonal et le bras nord du transept offrent, bien visibles, des ouvertures rebouchées. La fenêtre axiale l'a été au XVIIe siècle ou XVIIIe siècle, époque au cours de laquelle beaucoup d'églises ont reçu un maître-autel baroque, si imposant qu'il cachait la fenêtre située derrière qui fut fermée. Couleurs et dorures étaient alors prisées et sensées être plus signifiantes pour la symbolique que la lumière naturelle diffusée par un soleil levant.
Au midi subsiste un chapiteau qui parait avoir été repositionné là sans fonction autre que celle de conserver le souvenir d'une organisation antérieure. La remarque vaut pour un masque souriant coincé sous la corniche à l'angle des murs nord-est du transept.
A signaler, à l'intérieur de la sacristie (qui occupe le bras du transept nord) un chapiteau présentant un visage humain grossièrement encastré sous le tailloir.
Dans le choix des matériaux de construction ont été favorisés : la pierre, meilleur isolant contre l'humidité pour les soubassements, la tour et les contreforts, les carreaux de craie extraits de carrières proches pour leur faible coût de revient, et la brique cuite pour les restaurations récentes qui réunit les deux avantages.
Vestiges d'une organisation architecturale antérieure
Comme le montre la vue suivante, issue de l'ancien plan cadastral (site des Archives Départementales des Ardennes CG08 Vues en ligne), l'église a perdu le bras sud de son transept auquel appartenait vraisemblablement le chapiteau ci-dessus.
Un intérieur hétéroclite
A l'intérieur la nef offre peu d'intérêt avec ses fenêtres cintrées refaites dans une arcade dont les bases retombent sur des pilastres aux chapiteaux moulurés. L'arc triomphal qui la sépare du chœur est brisé. Disposé en retrait, un gros tore s'appuie sur des colonnes. Les chapiteaux sont d'un décor végétal d'inspiration romano-gothique.
L'approche du maître-autel ravit incontestablement le visiteur qui jouit sous la croisée du transept d'une perspective avantageuse sur une série de chapiteaux fort anciens (d'autres semblent avoir été refaits à l'identique). Ils conservent ces crochets charnus élevés sur de hautes tiges si classiques dans l'art roman, quand d'autres étalent des feuilles d'eau stylisées. Parfois la corbeille du chapiteau s'enveloppe d'une guirlande de feuilles rectangulaires dressées et fortement nervurées qui se recourbent à l'approche de leur sommet pour épouser la courbure du tailloir en surplomb.
Le registre est varié, il s'inspire à l'évidence des modèles rémois de la basilique Saint-Remi...
Des chapiteaux d'aspect encore bien roman
... ou emprunté à l'art bourguignon comme ci-dessous avec une vue de chapiteaux de l'église Sainte-Madeleine de Tournus
La feuille en fer de lance dont l'extrémité s'enroule
Parmi les éléments d'architecture, les clés de voûte seront observées avec intérêt. Leur composition évoque un motif floral constitué de feuilles d'acanthe resserrées d'où jaillit une touffe de feuilles simplement nervurées libérant un fleuron terminal.
La piscine ouverte par une arcade trilobée abrite trois niches destinées à recevoir jadis les burettes et l'aiguière contenant l'eau et le vin qui étaient apportées au moment de l'offertoire. Au-dessous le motif sculpté est caractéristique du style gothique flamboyant, il copie le vacillement d'une flamme en prenant la forme d'un fuseau sigmoïde.
Un écu martelé n'est plus identifiable, il couronne la piscine et représentait peut-être les armoiries du seigneur qui l'a financée.
Clé de voûte à la croisée
Le mobilier
L'autel majeur dédié à saint Timothée est de style baroque.
Les colonnes qui encadrent le retable arborent de gracieux fûts cannelés avec listels. Les chapiteaux sont dorés et imitent l'ordre ionique antique. Au-dessus du retable un fronton triangulaire interrompu est parcouru d'une frise à petits modillons. La base du fronton repose sur l'abaque des chapiteaux. Entre les deux, l'espace nu a été utilisé pour apposer le monogramme du Christ en lettres dorées : I.H.S.
Le décor s'inspire de l'art grec antique, repris et développé par les Romains, puis remis au goût du jour avec la première Renaissance, un courant artistique à la recherche d'un retour au classicisme.
Le tableau peint du retable figure l'Ascension du Christ comme l'évoquent les Actes des Apôtres (Ap. 1 ; 8 à 9). Une dédicace retient l'attention, au bas, à droite : "Donné à l'Eglise de Pauvres par Chenet [ou Benet] Florentin peintre à Vitry le François"
La dédicace au bas du tableau
Le couronnement du retable comporte un second tableau de facture plus grossière qui semble évoquer l'Adoration des bergers. Marie présente l'Enfant Jésus nu à un personnage barbu vêtu d'un manteau de berger (ou d'une bure ?) ; sur le devant de la scène un autre personnage agenouillé ne laisse apparaitre que sa nuque. Ce tableau masque une architecture sculptée.
Le mobilier de l'autel comporte quelques éléments remarquables comme la belle porte du tabernacle ornée d'une représentation du Bon Pasteur (Jésus ramène la brebis égarée Jn 10 ; 11) ou encore ces chandeliers en bronze doré décorés de motifs en relief sur leur pied et de médaillons peints sur les faces de leurs couronnes.
Pied de chandelier
Les deux autels secondaires situés en avant de la nef sont récents.
Celui de gauche est dédié à Notre-Dame du Sacré Cœur, une fondation du Père Chevalier en 1859 qui institue à Issoudun la Congrégation des Missionnaires du Sacré Cœur.
La statue de La Vierge portant l'Enfant Jésus domine l'autel. Tous deux appellent l'attention des fidèles en désignant de l'index un cœur énorme placé sur la poitrine de l'enfant. Les initiales A. M. ornent la porte du tabernacle.
Celui de droite, pendant du précédent, est dédié à saint Joseph. Sa statue le représente portant Jésus et le lys. Les initiales S.J. se retrouvent aussi sur la porte du tabernacle.
Près de la chaire à prêcher, un grand crucifix porte aux extrémités de la croix la représentation des symboles des quatre évangélistes.
La statuaire
Les statues assez nombreuses pour une église de village ne méritent pas un commentaire particulier à l'exception de celle de saint Donat.
Ainsi sont représentés les personnages suivants:
- saint Timothée (déjà évoqué)
- sainte Claire (en tenue de clarisse portant la lanterne)
- saint Walfroy (initiales S. V., le stylite ardennais)
- Jésus du Sacré-Cœur
- saint Pierre (agrippant ses clés)
- saint Hubert
- saint Eloi
- sainte Jeanne d'Arc
- sainte Agathe (tenant la palme et l'objet de son martyre : une paire de tenailles)
- Notre-Dame de Lourdes
- saint Antoine de Padoue
Saint Donat
Il est le saint qui justifie le titre de cet article!
Sa présence ici à Pauvres a de tout temps suscité le respect car sa protection contre les coups de foudre a été maintes fois requises. Souvent, l'été, après les chaleurs accablantes du milieu d'après-midi, le ciel se charge tout à coup de lourds nuages noirs menaçants qu'on voit venir de loin en plaine champenoise ; poussés par un vent violent ils déferlent depuis l'ouest, chargés d'électricité qui s'abat en éclairs fracassants sur habitations, bétails et champs, occasionnant peur et dégâts.
Les orages les plus redoutés sont ceux venant du sud est car leur violence est réputée plus destructrice par leurs pluies de grêles qui anéantissent les cultures. Le secteur est-il plus qu'ailleurs soumis à ces intempéries dévastatrices? Elles ont en tout cas marqué les mémoires. Les murs de l'église de Pauvres ne conservent pas (semble-t-il ?) de traces de ces évènements catastrophiques, mais ceux des villages voisins portent encore des inscriptions gravées les relatant. Au clocher de Machault par exemple, deux inscriptions rappellent le souvenir d'un orage violent, l'un survenant tôt en saison (le 13 mai 1697), l'autre à la saint Martin 1730 où un grêlon de "onze livres" a été recueilli au milieu "d'autres malheurs"...
Qui est ce saint qui protège du tonnerre?
Saint Donat (Donatus) possède une quinzaine d'homonymes, celui de Pauvres est le saint Donat d'Arezzo (Italie) mort en 362 et habituellement fêté le 7 août
Hagiographie succincte:
Ancien compagnon de Julien l'Apostat, Donat quitte Rome en 361 pour fuir la persécution de cet empereur, neveu de Constantin qui voulut, un court moment, restaurer le paganisme en Occident. Il se réfugie à Arezzo en Toscane et y devient évêque.
Le martyrologe de saint Jérôme le classe parmi les confesseurs. Il aurait subi la persécution mais sans en mourir.
Il est vrai qu'au Ve siècle le qualificatif de martyr lui est attribué, mais il semble qu'il fut alors confondu avec un homonyme romain martyr des catacombes.
Les restes de l'évêque d'Arezzo rejoignent Rome, puisqu'en 1652 ses reliques sont découvertes dans la catacombe de Saint-Agnès. Un vicaire général de la Compagnie de Jésus (donc un jésuite) en voyage dans la cité romaine rapporte une partie de ces reliques en Allemagne, son pays d'origine. Elles sont déposées à MÜNSTEREIFEL près de Bonn.
Comme souvent la légende s'empare de l'événement et l'on raconte que lors d'un office religieux célébré dans l'église d'EUSKIRCHEN, un terrible orage éclate au moment de l'élévation et de la communion.
A "l'ite missa est" la foudre cingle l'officiant qui a juste le temps d'invoquer dans une prière, Jésus, Marie et saint Donat, dont les reliques viennent d'être récemment introduites dans le lieu (Münstereifel est la banlieue d'Euskirchen).
Le prêtre se relève vivant, choqué mais indemne : le culte de saint Donat vient de naître!
Il s'impose comme le protecteur contre la foudre, le tonnerre et la grêle qui déciment si souvent récoltes et bétails.
En allemand, le mot tonnerre se dit "Donner" qui a pu dériver en Donat.
Le personnage est tantôt représenté en évêque, tantôt en soldat romain comme ici à Pauvres.
Le Donat trouvé dans les catacombes faisait partie de la légion romaine levée par Jules César en -58 avant J-C, la fameuse "legio fulminata" dont l'emblème était un éclair (fulmen en latin).
Le culte de saint Donat n'est pas fréquent en Ardenne française. Il a été évoqué par Jules Carlier (1873 - † 1964) qui signale une statue dans l'ancien moulin d'Hannogne-Saint-Rémy.
Saint Donat est aussi fêté à Linay le 2ème dimanche de juillet.
Le culte est beaucoup plus répandu en Belgique où plus de 76 sites sont répertoriés.
A Arlon, pour ne citer qu'un exemple, le saint est représenté aussi en habits de soldat romain, tenant l'épée et la palme du martyr en forme de flamme, un éclair zèbre le fond du support de la statue.
Dans la Marne, le culte a été signalé à tort dans l'église de Verzy
Dans un martyrologe du siècle dernier, il est précisé que la célébration de saint Donat et de saint Apollinaire a lieu le même jour : le 23 juillet. Leur cohabitation à Pauvres ouvre encore bien des interrogations.
A défaut d'avoir un coup de foudre pour le personnage, peut-on avoir un coup de cœur pour cette charmante église de la plaine champenoise.
(1) Géographie Traditionnelle et Populaire du département des Ardennes par le Docteur Octave Guelliot - Librairie Guénégaud - 1975
(2) H. Taine - Préface des Ardennes illustrées d'Elizé de Montagnac - 1868; carnets de voyage
(3) https://books.google.fr/books?id=4hNgAAAAcAAJ&pg=PA242&dq=%C3%A9glise+saint+timoth%C3%A9e+reims&hl=fr&sa=X&redir_esc=y#v=onepage&q=%C3%A9glise%20saint%20timoth%C3%A9e%20reims&f=false Trésor des églises de Reims par Louis Hardouin Prosper TARBÉ, J. J. MAQUART page 242
On lira avec intérêt le livre de Guy Lénel : "Si Pauvres m'était conté" petites histoires de la grande histoire d'un village champardennais . juin 2002 imprimerie Félix Vouziers. En vente à la mairie notamment de Pauvres.
JLC
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