La géologie au service de l'art religieux
L' amateur d'art sacré rencontre souvent des difficultés pour dater le mobilier liturgique. Les fonts baptismaux n'échappent pas à la règle.
La pierre constitue le matériau de construction de la plupart des cuves baptismales. Connaitre la provenance de la pierre est donc un élément essentiel pour établir leur identité.
Où trouver le matériau ?
Pour des raisons économiques, essentiellement liées aux problèmes du coût de transport, les tailleurs de pierre se sont approvisionnés là, où la matière première était la plus proche. C'est pourquoi beaucoup de cuves baptismales ont été fabriquées avec la pierre du pays.
Certes cette pratique connait des exceptions, puisque des cuves en pierre de Tournai ont été amenées dans le sud des Ardennes et même au-delà de Reims.
Au Moyen-Âge, le transport de la pierre s'effectuait par voie d'eau ou terrestre. Dans ce dernier cas des attelages d'animaux (boeufs, chevaux) véhiculaient les chargements de blocs de pierre dégrossis en carrière et la taille de la cuve était le plus souvent réalisée sur le lieu de son installation par des artisans locaux.
Ceux-ci reproduisaient avec plus ou moins de fidélité les motifs de décoration alors en vogue. Le souci d'esthétique, fort prisé de nos jours, n'était pas de mise à cette époque ; le tailleur de pierre était avant tout chargé de réaliser un mobilier dont la seule fonction était liturgique.
La Champagne-Ardenne a la particularité d'offrir un large éventail de couches géologiques. Tous les étages y sont pratiquement représentés et depuis les temps les plus reculés, des carrières ont été exploitées pour la construction des bâtiments.
Pour schématiser, si la lecture de l'échelle géologique s'effectue du nord au sud , les roches les plus anciennes forment le massif ardennais et les plus récentes affleurent dans le Basssin parisien.
La carte géologique
Parmi les roches les plus anciennes, le calcaire de Givet est exploité depuis fort longtemps dans les carrières ouvertes entre Givet et Chooz.
Ce calcaire fin, argilo-siliceux, de couleur gris-noir, est parsemé de petites veines blanches de calcite; il a servi, dans le passé, comme matériau de construction des bordures de trottoir. Les éviers et les mangeoirs pour bétail ont été également taillés dans cette roche qui s'est véhiculée jusque Reims et au-delà.
Tout proches les calcaires viséen et tournaisien (Tournai en Belgique) sont à l'origine des belles cuves romanes à têtes d'angle. (voir l'article sur ce site)
La teinte du calcaire fraîchement cassé varie du gris au gris noirâtre. Le calcaire de Tournai prend une patine légèrement rousse, surtout s'il est exposé aux intempéries ; il prend parfois un beau poli noir qui le fait ressembler à de l'ébène.
Pour respecter notre ascension dans le temps géologique, au-dessus de ces calcaires de l'ère primaire, succèdent les grès du Trias.
Cette roche a été utilisée dans le passé pour confectionner des meules, elle a servi pour les soubassements des maisons. Les églises du Bassigny sont pour la plupart en grès, jaune ou rose.
Cette pierre se taille bien, elle entre dans la composition de nombreux fonts, dont le recensement dans notre région reste à établir. Les carrières se situent en Haute Marne et à l'est de la Champagne.
Viennent ensuite les calcaires sinémuriens de Romery et de Sedan (système jurassique). Ce sont des calcaires gréseux, résistants, bicolores, jaune-beige et gris. Ils affleurent au nord de la vallée de la Meuse.
Ils ont servi pour la construction des fortifications de Mézières, Sedan, Rocroi.
Les carrières de Romery ont aussi fourni les pavés, qui, expédiés par voie d'eau, servent de revêtement aux grandes places de Charleville et Reims
Ce calcaire résistant a été utilisé pour les linteaux des portails d'église, pour les marches d'escalier et pour élever des croix de calvaire.
Dans le système jurassique, l'étage bajocien a fourni une roche de construction très prisée dans les Ardennes. Le calcaire jaune ocre issu des carrières de Dom-le-Mesnil en faisait partie, de même que le calcaire blanc extrait à Bulson et Chémery-sur-Bar ; c'est une pierre de taille tendre, facile à travailler au ciseau ou à la scie et qui durcit en séchant ; son exploitation aujourd'hui abandonnée, alimentait les ateliers de sculpture (statues etc..) Cette pierre était exploitée également à Neuville-les-This.
En Haute-Marne, les monuments et les remparts de la ville de Langres sont réalisés en calcaire du bajocien (carrières de la Fontaine du Bassin sur la commune de Saint-Ciergues)
Au-dessus des couches du bajocien, vient le temps de la formation des calcaires du bathonien. Leur présence dans l'ouest de la Champagne-Ardenne a permis l'exploitation d'une pierre blanche facilitant les constructions. Citons les sculptures du cloître de la cathédrale de Langres réalisé avec ce matériau.
Dans le système jurassique supérieur, donc de datation plus récente (quand même environ : -150 millions d'années !) on rencontre dans le sud des Ardennes et dans la Marne des calcaires, tantôt beiges et durs (dits comblanchoïdes), tantôt oolithiques, plus clairs utilisés en construction. (oolithe=petite sphère de calcite de moins d'un millimetre de diamètre qui se forme autour d'un grain de sable ou morceau de fossile)
Ces derniers ont fourni une pierre de taille fort présente dans le Vouzinois au temps de l'exploitation de la carrière de Neuville-Day.
Ce sont les calcaires de l'étage oxfordien (anciennement répertorié sous la dénomination de Séquanien) ; ils sont à grosses oolithes, la couche supérieure du lit, exploité pour la pierre de taille, laisse apparaître un calcaire plus dur de couleur gris-bleu, qui se débite en dalles ; il est caractérisé par la présence de petites coquilles fossilisées : les astartes.
Si des fonts baptismaux ont été réalisés dans le Vouzinois avec ce matériau, leur recensement reste à établir !
Dans le département de la Meuse, un calcaire jaune-beige assez clair, constitué d'oolithes creuses caractéristiques, a été exploité dans trois communes : à Aulnoy-en-Perthois, Savonnières et Brauvilliers. Ce calcaire du jurassique supérieur a servi dans la construction des bâtiments des villes de Vitry-le-François, Saint-Dizier ; l'abbaye cistercienne de Trois-Fontaines, de nombreuses églises de la Marne et de la Haute-Marne ont été appareillées avec ce matériau de qualité. On le rencontre encore dans l'église de Montier-en-Der, aux portails des églises de Dommartin-Lettrée, de La-Neuville-au-Pont, dans l' église Notre-Dame-en-Vaux et à l' Hôtel de Ville de Châlons-en-Champagne. La pierre de Savonnières a servi à restaurer les voussures de la cathédrale de Reims au XIXe siècle.
Le calcaire d'Euville, toujours dans la Meuse, est plus blanc, il est riche en entroques (tiges fossilisées d'encrines, petits échinodermes) et a fourni le matériau de construction des grands édifices parisiens, dès l'apparition du chemin de fer. Cette pierre a largement servi à la restauration des églises de notre région.
Les formations géologiques du Crétacé sont essentiellement constituées de craie. C'est une roche friable et tendre ; mais l'étage supérieur du Crétacé offre un calcaire blanc, fin, assez dur pour être utilisé en construction ou en sculpture. La région de Troyes regroupait de nombreuses exploitations de cette craie dans les siècles passés. Entre Châlons et Troyes de nombreuses églises sont édifiées avec ce matériau ; les bâtisseurs prenaient toutefois la précaution d'assurer les fondations et les soubassements avec des pierres plus résistantes comme celle de Savonnières ou de Tonnerre dans l'Yonne ou encore d'Ampilly en Côte d'Or ; dans les Ardennes, au sud de la rivière Aisne, beaucoup d' églises et d'habitations sont en carreaux de craie avec parfois un mélange harmonieux de briques. Il semble qu'en raison de sa avidité à l'eau, la craie n'a jamais été utilisée pour la réalisation des fonts baptismaux. Leur recensement viendra peut-être contredire l'affirmation ! Gélive, la craie n' a pu acquérir des titres de noblesse dans le cercle des bâtisseurs !.
L'Argonne a une spécificité bien marquée en géologie, avec une roche blanc-jaunâtre, tendre et surtout non calcaire : la gaize. Elle se situe dans l'albien supérieur. Des carrières ont été ouvertes à Passavant, à Saint-Florent-en-Argonne pour fournir un matériau de construction et d'empierrement. Ainsi les édifices anciens de Sainte-Ménéhould, et de nombreuses maisons de Vouziers, sont construits en gaize, qui, avec le temps, prend une couleur blanc-grisâtre.
Peut-être existe-t-il des cuves baptismales taillées dans la gaize ?.
Le calcaire montien qui domine le vignoble de Vertus et Bergères-les-Vertus, dans la Marne, est blanc, constitué de débris de coquilles. L'exceptionnelle épaisseur des bans, dans cette région, a permis une exploitation à ciel ouvert qui alimenta les chantiers de construction des églises des deux localités et ceux de l'église Notre-Dame-en-Vaux à Châlons-en-Champagne (façade) entre autres.
Les terrains tertiaires affleurent à l'ouest du département de la Marne, dans la région de Fismes. Le calcaire lutétien a alimenté les grands chantiers de construction de la ville de Reims, et ce, depuis l'époque gallo-romaine, comme le prouvent divers éléments de la Porte Mars. Les gisements sont localisés dans les villages de Romain, d'Hermonville, Vendeuil, Hourges, Jonchery-sur-Vesle, Marzilly.
Différents niveaux offrent tantôt une pierre au grain grossier, mais résistant, employée pour les soubassements et en parement, tantôt une pierre au grain fin employée en élévation ou pour la sculpture. A Reims, place Royale, le bâtiment de la Société Générale est en partie appareillé à l'aide de la pierre extraite des carrières de Romain, il en va de même de la galerie supérieure de la cathédrale. La pierre y est d'une teinte remarquable avec de beaux tons chauds, dorés, "champagne".
Le calcaire extrait de la carrière de Courville, malheureusement fermée aujourd'hui, appartient au lutétien moyen (calcaire à milioles et Orbitolites).
Sur un front de taille de 3 m d'épaisseur, seuls deux bans ont été utilisés pour la commercialisation, les autres niveaux étant considérés comme gélifs.
C'est ce qu'on appelait localement la "burge" qui avait la réputation d'être atteinte par la gelée de l'intérieur et qui finissait par se désagréger même sous enduit.
En fait, elle fut largement utilisée, pourvu qu'elle se trouvait isolée du contact de l'eau.
Plusieurs fonts baptismaux de la vallée de l'Ardre et du Tardenois sont originaires de ces carrières, leur dénombrement n'a pas été fait à ce jour.
Le calcaire de Provins (Seine-et-Marne) a été importé dans la Marne pour édifier contreforts et soubassements d'églises notamment.
A signaler le beau calcaire beige et très fin (étage batonien), jadis extrait à 10 km au sud ouest de la région d'Epernay, qui fut utilisé pour les sculptures magnifiques du cloître de Notre-Dame-en-Vaux à Châlons-en-Champagne. Il ne serait pas étonnant de découvrir des fonts baptismaux conçus dans ce noble matériau.
Une roche siliceuse et caverneuse résistante a été employée pour ses qualités isolantes : c"est la meulière de Brie exploitée entre Château-Thierry et Sézanne, elle clot cet aperçu géologique de la Champagne-Ardenne.
(les matériaux de couverture : lauze calcaire et ardoise ont été volontairement écartés de cette étude sommaire)
Un travail passionnant d'identification des matériaux de construction des cuves baptismales reste à mettre en chantier. Celui-ci ne pourra aboutir qu'en étant le fruit d'une recherche collective sur le terrain. Vous êtes partant (e) pour m'aider ?.... Jean-Luc C.
Bibliographie : larges extraits empruntés à Anne Blanc, géologue au laboratoire de recherche des Monuments historiques.
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