CHESNOIS-AUBONCOURT : des vitraux déroutants dans une église désorientée
Une terre d'abbaye
Au creux des “Quatre Vallées” se niche la commune du Chesnois-Auboncourt, lit-on dans le mot d'accueil du site web qui lui est consacré : http://adndid.ovh.org/index.html
Quatre vallées qui ne sont pas faciles à localiser sur la carte IGN ! Trois vallons plutôt, qu'ont creusés le ruisseau du Foivre et son affluent, le ruisseau de la Chatelaine qui se rejoignent dans le village. Les coteaux bien exposés se couvrent de cerisiers ; ils ont fait la réputation de l'endroit depuis 1842 lorsque la halle reconstruite permit aux producteurs locaux de vendre sur place leurs cueillettes portées jadis à dos de mulet vers la ville phare du département.
A l'origine, Le Chesnois était connu pour sa forêt de chênes. Le toponyme cassanos, dérivant du bas latin casnus évoque l'arbre roi des forêts.
Chesnois, Chesnoy, aurait été le lieu-dit renfermant un îlot de chênes. Grâce à la main de l'homme, d'autres espèces arbustives ont proliféré, comme le cerisier, le noyer... La vigne, aussi, y a été longtemps cultivée.
La première mention écrite du Chesnois s'orthographie Chaenoy. Elle date de juillet 1258. Elle est citée dans le Trésor des Chartes du Comté de Rethel qui reproduit le texte d'un échange de terres :
Jean (Jehans ou Johannis dans le texte latin de l'époque), châtelain de BELESTRE (BELESTRA) - un village aujourd'hui disparu sur le territoire de Neuvizy - et sa femme Aelis (dammoiselle Aalyz) échangent avec l'abbé (abet) et le couvent (covent) de Saint-Denis (Saint-Denise) de Reims (Rains) leurs terres de Champigny (Champigni) près de Reims, contre celles de Chaenoy delez Val Monsteruel, c'est-à-dire : du Chesnois de Vaux-Montreuil.
L'échange s'effectue en l'an de Nostre Signor mil CC L VIII, en mois de joingnet : en juillet 1258. La passation reçoit l'aval de l'archevêque Thomas (arcevesques Thommas) qui déclare avoir pris connaissance et acte des lettres de son fils (fiel), Gaucher, comte de Rethel qui approuve l'échange (Gauchiers cuens de Retest).
Aujourd'hui le visiteur étranger s'étonne de ne point trouver trace d'une abbaye dans ce paysage retiré au fond d'un vallon boisé, loin de l'agitation des villes et offrant la quiétude et le charme d'un endroit propice au recueillement. Ici la terre se prête à l'élevage, à la culture des arbres fruitiers, au développement de la vigne, comme en d'autres lieux privilégiés où des moines sont venus s'installer. L'image des cisterciens suivant les pas de leur maître saint Bernard vient de suite à l'esprit. Au Chesnois, rien de pareil, l'histoire s'écrit différemment. L'explication est sans doute livrée par l'acte de passation évoqué ci-dessus. A l'époque des fondations d'abbayes dans le paysage ardennais, - entre 1078 (abbaye Saint-Berthaud de Chaumont) et 1154 (abbaye de Bonnefontaine) -, les terres du Chesnois appartenaient à l'abbaye rémoise de Saint-Denis. Celle-ci n'avait pas les moyens d'installer une communauté monastique, elle ne bénéficiait pas sur place de la présence d'un riche seigneur généreux en donations, désireux d'assurer pour l'au-delà, le salut de son âme qu'une prière quotidienne des moines aurait garanti.
En 1258 quand le châtelain Jehans prend possession des terres, la frénésie créatrice de communautés monastiques s'est apaisée chez les seigneurs, - la dernière est l'abbaye cistercienne des Rosiers en 1240 -, et le nouveau propriétaire n'est pas comte, ses ressources ne peuvent rivaliser avec celles de ses riches voisins porteurs du titre.
Beaucoup plus tard pourtant, le sieur Gauchier de Pavant, écuyer (escuier), seigneur du Chesnois parait plus fortuné. Le 20 novembre 1435, il achète l'intégralité de la seigneurie de Baâlons à Gérard de Marescot, puis il récidive le 1er juin 1441 en achetant la moitié des terres d'Aiglemont (Ellemont) au sieur Guillaume de Corbon. Le royaume de France est alors en plein déchirement, les préoccupations des seigneurs ont changé de registre : fonder une abbaye n'est plus une priorité !
Une église désorientée
Tous les Chesnoisiens et les Chesnoisiennes savent qu'avant 1828 leur commune était distincte de celle d'Auboncourt-ès-Rivières et que leur église, autrefois du secours de Sorcy (c'est-à-dire d'une annexe), n'a pu être érigée en paroisse qu'à partir de 1690.
Ils ont raison d'être fiers de la belle église implantée au centre de leur village, construite à la fin du XIXe siècle en remplacement d'un édifice très ancien.
L'architecte Eugène Bourquin de Charleville la conçoit dans le style néo-gothique fort à la mode à l'époque. Les travaux sont confiés à l'entrepreneur M. Léger. En dépit d'atermoiements rencontrés au départ du projet, - initialisé six ans auparavant ! -, la réception des travaux a lieu le 29 novembre 1890. Quelques mois plus tôt, entourant leur curé, l'abbé Bonhomme, les paroissiens impatients de retrouver leur sanctuaire, assistent nombreux, le mardi 10 juin, à la bénédiction de la nouvelle église. Ils découvrent un édifice spacieux doté d'une architecture moderne.
Pourtant, ce jour-là, en gravissant les marches du perron qui les amènent devant le portail d'entrée, certains se sentent désorientés. Les voilà contraints d'approcher le maître-autel en tournant le dos au soleil levant, une posture contraire aux règles ancestrales de la liturgie qui veut que le chevet de toute église soit orienté à l'est. Le portail ouvrant sur la nef regarde donc habituellement l'occident de sorte que le pèlerin qui s'avance vers le saint sacrement ait son regard levé vers Jérusalem, la ville sainte. Ici c'est tout l'inverse. La particularité du Chesnois n'est pas unique en France, mais elle demeure une exception.
L'ancien bâtiment était d'ailleurs normalement orienté. On y entrait par une allée qui traversait le cimetière entourant la vieille église. Des contraintes techniques ont incité l'architecte à inverser le plan du nouveau bâtiment lui offrant l'avantage de donner un accès direct sur la voie principale.
L'emplacement de l'ancienne église. Cadastre de 1843 (site cg08 Archives Départementales en ligne)
L'église actuelle (site du cadastre.gouv.fr)
L'église affiche du caractère avec beaucoup d'élégance. Le matériau utilisé pour sa construction a été extrait des carrières voisines qui servaient déjà au Moyen-Age à édifier les bâtisses solides. L'église romane voisine de Sorcy est du nombre.
A l'aplomb du portail, le clocher s'élève, majestueux, au-dessus d'une assise à trois niveaux soulignés par des contreforts en retrait.
Chacun des quatre côtés de la tour s'ouvre par deux fenêtres que surmonte un fronton triangulaire décoré d'un trilobe aveugle. En son centre figure un triangle équilatéral. Les éléments trinitaires se répètent sur tout le bâtiment notamment sur les façades latérales de la nef avec les ouvertures hautes ou encore dans les remplages des fenêtres du chevet. C'est une volonté d'ajouter une signification symbolique à la fonction d'un élément d'architecture qui ne se résume pas au seul aspect décoratif. L'omniprésence de la Sainte Trinité s'impose avec force aux esprits.
L'église Sainte Marguerite (deux photos issues du web)
Prégnance du nombre 3 en guise de louange
Les Trois autels :
Le Maître-autel est en pierre sculptée dans le style néo-gothique. Son auteur est le célèbre sculpteur marbrier Peltier-Dapremont installé à Charleville ; il est connu pour avoir réalisé entre autres : les armes de la ville au fronton du Vieux-Moulin, aujourd'hui musée Arthur Rimbaud, ou encore être le co-auteur de la fameuse statue de Charles de Gonzague érigée en 1899 sur la Place Ducale, puis déplacée 100 ans plus tard.
Le retable développe trois structures avec un dais central au-dessus du tabernacle et deux niches latérales. Un motif floral composé de trois éléments s'abrite sous une arcade trilobée ; le gradin d'autel présente de part et d'autre du tabernacle une série de trois arcades aveugles. Le tympan au fronton du tabernacle représente un pélican qui nourrit ses trois petits. En s'ouvrant le flanc, le pélican évoque le Christ qui se donne en nourriture eucharistique. Les rampants des niches possèdent trois fleurons chacun. Derrière le maître-autel trois grandes baies diffusent la lumière du soleil couchant. A l'opposé au fond de la nef, trois fenêtres éclairent la galerie haute.
Les statues des évangélistes qui décorent les panneaux de la chaire à prêcher sont disposées sous une arcade à trois lobes... Les exemples de ces trilogies sont multipliés à l'envi.
Pour l'observateur non averti cette répétition en deviendrait presque lancinante, le chrétien y perçoit un signe évident de la présence trinitaire.
Le maître-autel de M.Peltier
Le devant d'autel représente la Cène dans sa seconde phase. Devant les trois arcades se tiennent les apôtres pour le dernier repas.
Trois personnages sont debout, (les autres agenouillés) car ils constituent les personnages principaux qui animent la scène : le Christ, au centre, attire tous les regards, il institue l'Eucharistie (voir le récit de Matthieu 26, 26-28) à sa droite saint Pierre, les mains croisées sur la poitrine porte sur Jésus un regard d'une grande intensité, comme s'il lisait déjà l'épilogue du drame à venir ; à la gauche du Christ, l'apôtre debout, qui lui tourne le dos, c'est Judas ; il s'est levé pour quitter l'assemblée car Jésus a reconnu sa trahison, le regard qu'il adresse furtivement une dernière fois au groupe porte toute sa culpabilité, mais déjà les autres ne s'intéressent plus à lui, plus personne ne le regarde. Saint Jean, les mains jointes, est le premier à recevoir le pain eucharistique en sa qualité de premier des disciples : «Jésus prit du pain ; il prononça la bénédiction, le rompit, et le donna à ses disciples en disant : “Prenez et mangez, ceci est mon corps.”...»
L'institution de l'Eucharistie est rarement traitée dans l'iconographie avant le XVe siècle. Sa place se fera prédominante après la Réforme.
Notons que les représentations de la Cène restent quand même majoritairement consacrées à l'annonce de la trahison de Judas qui se situe chronologiquement avant l'institution de l'Eucharistie. Une nouvelle fois le sculpteur Peltier a su intégrer des éléments ternaires à cette scène.
L'Institution de l'Eucharistie : antependium du maître-autel
L'autel secondaire sud (à gauche pour le visiteur qui regarde le maître-autel depuis la nef) est dédié à la Vierge. Sa statue avec l'Enfant domine l'autel en pierre de même facture que l'autel principal. Le devant d'autel est consacré à la Nativité. Ce thème maintes fois rencontré illustre habituellement tantôt l'Adoration des Mages, tantôt l'Adoration des bergers. Ici, autre particularité locale, les deux thèmes sont réunis dans une même scène. A la droite de l'Enfant qui vient de naître, les trois rois Mages couronnés, s'approchent porteurs de présents ; à sa gauche et devant Lui, trois bergers tenant houlette viennent L'adorer, ils ont apporté trois moutons de leur troupeau (deux sont couchés, le troisième porté dans les bras d'un berger); la Sainte Famille est réunie : Jésus, Marie et Joseph (encore trois personnages ).
La porte du tabernacle en cuivre jaune est bordée de cabochons multicolores, son centre est marqué des initiales gothiques A M (Ave Maria)
La Nativité : antependium de l'autel de la Vierge
Sur la console à gauche de cet autel se dresse la statue de sainte Philomène. Elle porte la flèche et la palme de son martyre.
L'autel secondaire nord (à droite) est consacré à la patronne du lieu : sainte Marguerite. Sa statue veille en bonne place, au centre du retable sous un dais. Les accessoires de l'autel sont en bois. Deux belles lettrines en relief ornent la porte du tabernacle : S M pour sainte Marguerite. La table portant la pierre de consécration est en marbre rouge jaspé, elle a la forme d'un tombeau dans le style baroque du XVIIIe siècle. Le devant d'autel affiche un médaillon représentant l'Agneau rédempteur couché sur le Livre aux sept sceaux rapporté dans le texte de l'Apocalypse (Ap. 5; 1 à 14).
Sainte Marguerite est une sainte légendaire dont le culte s'est répandu grâce à la Légende Dorée qui l'a rendu célèbre. Son hagiographie a donné lieu à de nombreux écrits. Parmi ceux-ci, un des récits est résumé ci-après.
Marguerite est née à Antioche en Pisidie (actuelle Turquie). Elle est morte en 305. Sa fête se célèbre le 20 juillet.
Convertie au christianisme, elle fait vœu de virginité et repousse les avances du gouverneur romain Olibrius.
Jetée en prison, elle est agressée par le diable puis dévorée par un dragon alors qu'elle priait. Avec la croix qu'elle tenait dans sa main, elle réussit à transpercer le ventre du monstre et a en sortir miraculeusement indemne. (Comme Jonas dans le ventre de la baleine : Jonas 1 - 3)
C'est pourquoi on la représente généralement "issant du dragon" (du vieux verbe français issir qui signifie sortir).
Elle aurait piétiné le dragon et l'aurait vaincu ainsi.
Marguerite fait donc partie des saints sauroctones (tueurs de lézards et autres sauriens).
Elle est souvent associée à trois autres saintes ayant fait, comme elle, vœu de virginité : sainte Barbe, sainte Catherine d'Alexandrie, sainte Geneviève. Elle est l'un des quatorze saints auxiliateurs.
Ses attributs habituels sont : le dragon à ses pieds, le chapelet de perles (qui résulte d'un jeu sur le mot latin margarita qui signifie perle), la croix qu'elle tient dans ses mains. Elle apparait parfois sortant du ventre du dragon ou de sa gueule.
Mais elle est parfois confondue aussi avec la princesse que saint Georges délivre d'un dragon, elle porte alors une couronne.
Elle est la protectrice des femmes enceintes (elle apporte une délivrance sans douleurs !...)
Sainte Marguerite a été rayée du martyrologe romain par Paul VI en 1969.
Dans les Ardennes, elle était la protectrice des femmes enceintes à Bogny-sur-Meuse ; elle guérissait les maladies des voies urinaires et soulageait les maux de reins. Son culte était aussi suivi à Avioth dans la Meuse.
Sa statue est présente dans plusieurs églises ardennaises, celle de Saint-Nicolas de Rethel parait être la plus ancienne.
Une confrérie de Sainte Marguerite a dû exister au Chesnois. Une bannière remisée aujourd'hui dans la galerie haute atteste de l'existence d'une pratique processionnaire en dévotion à la sainte.
Au Chesnois, sainte Marguerite terrasse le dragon d'un coup d'épée
Sur la console à droite de cet autel se dresse la statue de sainte Germaine. Elle aussi est très populaire. Sa biographie peut se résumer ainsi :
Germaine Cousin est morte en 1601 à 22 ans. Sa fête se célèbre le 15 juin. Elle est née scrofuleuse, laide et difforme. Sa mère décède peu de temps après sa naissance ; son père qui la hait se remarie avec une femme qui va la haïr encore plus. Sa belle mère l'oblige par exemple à dormir sous l'escalier sur des sarments dans l'étable des moutons dont elle assure la garde le jour dans les terres à pâturage. Ne sachant pas lire elle occupe son temps à prier. Un matin le père retrouve Germaine morte sous l'escalier. Alors les miracles vont se succéder dans le petit village de Pibrac, près de Toulouse où elle est inhumée.
Germaine Cousin a été béatifiée en 1854 et canonisée en 1867 (déclarée sainte).
Elle est la patronne et la protectrice des faibles, des malades et des déshérités. Les bergers se mettent aussi volontiers sous sa protection. La jeunesse agricole chrétienne féminine l'avait choisie comme patronne.
Sainte Germaine est représentée vêtue d'un tablier à fleurs, souvent accompagnée de brebis, et portant la quenouille.
Dans les Ardennes, elle est présente dans plusieurs églises sous la forme de statues ou illustre quelques vitraux (comme à Sivry-les-Buzancy : vitrail de Maurice Bordereau - 1937)
Sainte Germaine tenant la quenouille, portant le tablier de fleurs
L'église est encore riche d'une belle chaire à prêcher comportant une cuve en pierre accessible par un escalier à enroulement sénestre (en sens inverse des aiguilles d'une montre, le célébrant montait en chaire en regardant le maître-autel de face). La chaire a été réalisée par Mr Peltier, il l'a décorée de statues représentant les quatre évangélistes avec leur attribut respectif disposé à leurs pieds. L'abat voix est en bois dans le style gothique. L'intrados du caisson se pare d'un motif rayonnant octogone alors que la face extérieure porte un pinacle étagé bordé d'une série d'acrotères ajourés
Une piscine liturgique est disposée dans l'épaisseur du mur, son lavabo rectangulaire est abrité sous une arcade trilobée.
Les statues de la Vierge et de saint Jean replacées sur une console au pied d'un crucifix pourraient provenir d'une ancienne poutre de gloire (de l'ancienne église ?). Un autre Christ sans sa croix regarde la nef depuis un pilier du chœur sur lequel il a été accroché ; il parait plus ancien. (?)
La statuaire compte encore des représentations de saint Joseph, Sainte Thérèse de Lisieux et Jeanne d'Arc.
Les fonts baptismaux en marbre jaspé se composent d'une cuve demi-sphérique munie d'un couvercle en cuivre reposant sur un pied chantourné.
Les quatorze stations du chemin de croix sont en relief et peintes, elles s'inscrivent dans des quadrilobes à redents. L'auteur a laissé ses initiales : L.C.
Des vitraux déroutants...
Lors d'une excursion automobile, le visiteur curieux, qui ose se dérouter de l'autoroute A34 /E46 entre Charleville-Mézières et Rethel, n'est pas déçu de son choix s'il bifurque vers Le Chesnois-Auboncourt à hauteur du Woinic emblématique. Une halte à l'église lui fait découvrir une série de vitraux digne de ceux qu'il admire habituellement dans les basiliques de renom. La variété des thèmes observés surprend dans cette église rurale modeste.
D'abord le chœur :
Le sujet du vitrail axial, qui attire toujours le premier regard du boétien de passage, propulse ce dernier directement aux pieds du "Buisson Ardent", et le plonge sans palier de décompression au cœur de l'Ancien Testament, dans une immersion aux prémices des temps bibliques. (Exode 3 ; 1 à 15).
Dieu le Père, barbu et auréolé y apparait soutenu par deux anges au visage juvénile d'une douceur attendrissante. La gestuelle des mains est auguste chez le créateur du monde, d'une affectueuse tendresse chez les jeunes gardiens du Ciel. A leurs pieds, un Moïse dérouté, se cachant le visage, n'ose les regarder. Il a quitté ses sandales sachant désormais que le sol qu'il foule est sacré. Derrière eux, sur le Mont Horeb le buisson flambe mais ne se consume pas. EGO SUM QUI SUM prévient l'inscription : Moïse sait maintenant qui EST CELUI QUI EST.
Le thème classique de la scène biblique est toujours interprété avec gravité pour souligner la solennité de l'évènement.
Sur le vitrail du Chesnois, le maître-verrier en dit plus sur l'épisode. L'échange entre Dieu et Moïse devient une confidence, un secret qui exclut tout partage. Aucun des personnages ne cherche du regard une approbation du spectateur. L'affaire se négocie entre les deux acteurs, comme si l'entretien tenait du huis clos : parce que la mission, dont Moïse vient de recevoir mandat, ne doit pas être révélée de suite.
Le tableau de la verrière comporte pourtant un détail d'importance qui requiert une réflexion ou une simple interrogation chez tout observateur attentif. L'œil du mouton couché au premier plan est le seul à fixer avec insistance celui ou celle qui regarde la scène. Quel message cet œil a-t-il à nous délivrer? Que sait-il sur le devenir de la servitude des hommes, un des enjeux de son maître? Un regard bien déroutant pour CELUI qui veut savoir!...
Avec un regard insistant
Le vitrail, offert en 1890 par l'archevêque de Reims, Mgr Langénieux, sort de l'atelier rémois Vermonet-Pommery.
A ses côtés deux autres verrières du même atelier :
- à gauche, saint Joseph porte un Enfant Jésus qui n'est plus un bébé depuis longtemps, mais un garçonnet au regard et à la chevelure d'adolescent. Le papa tient dans sa main droite la branche de lys fraîchement fleurie. Le vitrail est un don de Mr Barbier, notaire à Vaux-Montreuil, comme le rappelle l'inscription du cartouche.
- à droite, saint Jean-Baptiste revêtu du manteau des philosophes tient fermement la croix de bambou où flotte un phylactère annonçant sa qualité : AGNUS DEI (agneau de Dieu). Vitrail offert par l'abbé Blavier, curé de Corny
Deux autres vitraux réalisés dans un style identique montrent :
- un classique saint Remy tenant sa crosse d'évêque tournée vers le monde extérieur et brandissant de la main droite la sainte Ampoule. Vitre offerte par l'architecte de l'église précise le commentaire, au bas (Eugène Bourquin sans doute?)
- saint Antoine de Padoue, ce prédicateur franciscain, né à Lisbonne, descendant de Charlemagne, apparenté dit-on à Godefroi de Bouillon, de son vrai nom Fernando Martins de Bulhoés (1195 - 1231) est présent dans presque toutes les églises, surtout dans le midi de la France où il s'acharna à convertir les hérétiques, d'où son surnom de "Marteau des hérétiques". Il est déclaré Docteur de l'Église en 1946.
Le vitrail est un don de l'abbé Frédéric Antoine Bonhomme, le curé du village : homonymie oblige !
La baie du transept gauche illuminée par les rayons du soleil zénithal est divisée en trois lancettes que surmonte une rose à six lobes, parée de deux écoinçons latéraux. L'ensemble a reçu une vitrerie historiée.
A son sommet, le grand oculus, dévoile la chapelle de l'Immaculée Conception de Lourdes, désormais nantie du titre de Basilique Supérieure, ce qui la distingue des deux autres dans le complexe des sanctuaires de Lourdes. De style néo-gothique, conçue par l'architecte Hippolyte Durand, la basilique commencée en 1866 exigera cinq années de travaux, avant sa consécration en 1876. Les deux bâtiments visibles sur le parvis sont postérieurs (édifiés entre 1877 et 1883). Lorsque l'atelier rémois entreprend la réalisation du vitrail installé en 1890, l'événement de Lourdes, qui a connu un grand retentissement dans le monde de la chrétienté, est encore d'actualité et suscite l'émerveillement
La verrière du transept gauche
Au milieu de la lancette centrale la Vierge assise sur un trône attire les regards. Elle est reine du Ciel et porte la couronne de son statut pour l'éternité. Le Couronnement étant l'épisode consécutif à l'Assomption, la présence post-mortem de Marie souligne que l'évènement narré n'est pas biblique. Elle est le personnage central qui dicte l'action et distribue les rôles.
C'est pourquoi à l'avant de la scène, l'index du pape pointé dans sa direction lève le doute afin qu'il ne subsiste pour personne.
L'Enfant Jésus assis sur un genou, retenu par le bras de sa mère, tend le scapulaire du côté gauche alors que la Vierge, dans un geste identique et simultané donne le Rosaire sur la droite.
La symétrie est parfaite. La Vierge est l'axe central de partage des deux scènes latérales. Les lancettes affichent des similitudes :
- trois personnages debout et un agenouillé
- trois hommes et une femme
- trois saints auréolés
- et dans la partie inférieure, les attributs respectifs des personnages.
Cette chorégraphie ajustée dans les moindres détails résulte ou bien d'une demande expresse du commanditaire qui souhaitait donner une importance égale aux deux événements, ou a-t-elle été imposée par la hiérarchie.
A droite Jésus remet le scapulaire à saint Simon Stock (à genoux). Il est le fondateur du Carmel en Europe (né en 1164, † 1265). Sa vision du 16 juillet 1251 a assuré sa célébrité. La Vierge lui remet le scapulaire et lui dit : «Celui qui meurt revêtu de cet habit sera préservé du feu éternel»
[On relira l'article : "Vrizy : son Rosaire" paru dans les pages de ce blog pour un commentaire plus complet et pour comparer les deux vitraux conçus avec des ressemblances frappantes.]
Derrière lui, à l'extrême droite de l'image, se tient sainte Marguerite-Marie Alacoque. Visionnaire du Sacré-Coeur, elle est représentée dans son costume de visitandine à Paray-le-Monial. Elle est donc l'instigatrice de la dévotion du Sacré-Coeur en plein essor au XIXe siècle dont elle porte le symbole entre ses mains.
Devant elle, le dominicain saint Thomas d'Aquin tient le traité dont il est l'auteur : "SUMMA THEOLOGICA", la Somme théologique.
A la droite du dominicain, un cardinal : Mgr Langénieux.
Benoit Marie Langénieux est né en 1824, et décède à Reims en 1905. Il a été l'ami fidèle et le confident du pape Léon XIII qui le consultait sur toutes les questions concernant la France. C'est le pape qui favorise sa nomination à l'archevêché de Reims en 1874 et qui l'élève au titre de cardinal en 1886 avec la mention de cardinal prêtre de Saint-Jean de la Porte Latine. Avant de rejoindre Reims, Mgr Langénieux est nommé évêque de Tarbes (en 1873). Lourdes dépend de l'évêché de Tarbes. Lors de son cours séjour dans la région pyrénéenne l'évêque a juste le temps d'ériger en basilique la Chapelle de l'Immaculée Conception. Il lance le premier grand aménagement de la grotte des Apparitions. Mgr Langénieux a beaucoup œuvré pour le diocèse rémois, il a aussi contribué à la reconstruction de nombreuses églises.
Au bas de la lancette s'entremêlent plusieurs fleurs dont le lys marial, qui porte trois corolles évidemment !..., et l'églantier de la grotte de Lourdes.
A gauche, la Vierge remet le Rosaire à saint Dominique de Guzman (1170 - 1221). A l'extrême gauche du vitrail, sainte Philomène tient la flèche qui permet de l'identifier. Devant elle, les mains jointes en prière, se tient saint François d'Assise. Le quatrième personnage tenant la maquette d'une église est un ecclésiastique ayant participé à la construction de l'édifice; il s'agit peut-être du curé Bonhomme du Chesnois ou bien le curé Peyramale de Lourdes qui a lancé la construction de la chapelle-basilique.
Au bas de la lancette, trois éléments rattachables à saint Dominique : le livre, le globe terrestre et le chien portant une torche enflammée dans sa gueule (il est habituellement représenté noir et blanc !). La mère de Dominique, enceinte du futur saint avait fait un rêve au cours duquel, elle voyait un chien portant une torche pour embraser le monde entier de la Vérité. En souvenir de sa mère, saint Dominique avait repris le songe comme emblème.
Dans la lancette centrale, le premier plan est occupé par le pape Léon XIII en place au moment de la réalisation du vitrail. Il est encore coiffé de la tiare papale dont ses successeurs ont abandonné le port.
Mais un autre pape en rapport avec le thème du vitrail aurait pu être montré en la personne d'Honorius III qui approuva la Règle de Dominique de Guzman par bulle papale du 22 décembre 1216 et la Règle des ermites du Mont Carmel par bulle du 30 janvier 1216.
La baie de transept droit
La baie du transept droit présente une composition analogue à celle qui lui fait face à gauche : trois lancettes surmontées d'un oculus bordé de six lobes.
Dans la rose, l'archange saint Michel se bat avec le dragon satanique, il va piquer le fer de sa lance dans la gueule du monstre.
La lancette centrale représente sainte Marguerite terrassant elle aussi le dragon, emblème de Satan. Le Roi des enfers, c'est l'esprit du mal décrit par saint Jean dans l'Apocalypse (XII ; 3 à 5).
L'antichrist, seigneur de tout mal est d'abord habituellement vaincu par les deux chevaliers du Ciel : saint Michel et saint Georges, ce dernier étant plus souvent représenté à cheval pour combattre la bête draconienne. Mais un grand nombre de bienheureux s'y sont essayés comme saint André d'Aix-en-Provence, saint Victor à Marseille, saint Armentaire à Draguignan ...etc, la liste des saints sauroctones est longue ! Il y a aussi des saintes comme sainte Radegonde à Poitiers ou la plus connue sainte Marthe à Tarascon.
La lancette de gauche montre sainte Catherine portant la palme du martyre et l'épée. Sainte Catherine d'Alexandrie et sainte Marguerite ont été invoquées par Jeanne d'Arc.
Celle-ci occupe la lancette de droite. Elle n'est pas auréolée comme ses deux voisines, puisque sa béatification n'a été prononcée que le 18 avril 1909 et sa canonisation n'est intervenue qu'en 1920, soit 30 ans après la réalisation du vitrail.
Une sale gueule... quelque peu déroutante...du droit chemin
Les autres vitraux sont consacrés à :
- le curé d'Ars. Il est à genoux en prières pour invoquer sainte Philomène. Elle se tient debout portée par une nuée avec le secours de deux anges ailés. De la main droite, elle accède à la prière du curé, de la gauche elle porte l'ancre marine, son attribut, ainsi que la palme de martyr.
Derrière le curé d'Ars, Pauline Jaricot qui introduisit le culte en France.
Vitrail offert par Mademoiselle Philomène Torchet 1899
Le curé d'Ars et Pauline Jaricot
- saint Cyrille d'Alexandrie, Docteur de l'Église, préside le concile d'Ephèse (en 431) ; il est entouré de six évêques (il était plus de 50 en réalité) pour condamner l'hérésie nestorienne et proclamer Marie, Mère de Dieu : Øeoζoxoς (Théotokos, = qui a enfanté Dieu). En effet, Nestorius, le grand patriarche de Constantinople voulait à l'époque distinguer la divinité et l'humanité du Christ ; il opposait l'antropotokos (= la mère de l'Homme) à la christotokos (= la mère du Christ). Le concile d'Ephèse met fin au nestorianisme.
Vitrail offert par les parents d'Armantine Havet 1899
saint Cyrille impose la Théotokos au concile d'Ephèse
- les apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle, le long du Gave à Lourdes.
La Vierge apparait à Bernadette en présence de la foule
- le baptême de Jésus par saint Jean-Baptiste. C'est une représentation classique de la scène du baptême au bord du Jourdain avec la colombe de l'Esprit Saint
- l'onction de Béthanie (Jn 12 ; 1 à 8) ...«On fit là un repas. Marthe servait. Lazare était l'un des convives. Alors Marie, prenant une livre d'un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux etc ...»
Vitrail offert par Madame Havet-Meunier 1899. La donatrice s'est fait représenter dans un médaillon en-dessous de la scène
Marie oignit les pieds de Jésus (Evangile de Jean ; 12, 3)
- dévotion à la Vierge Marie en l'honneur des soldats combattants de la guerre de 1870.
Vitrail offert par les parents de Cyrille Havet tombé au combat, en son souvenir. 1899.
En mémoire du combattant (son portrait figure dans un médaillon sous cette représentation)
- représentation de la Sainte Famille avec Jésus enfant, Joseph exerçant son métier de charpentier et Marie qui file la laine à l'aide de la quenouille. On notera que Jésus aide son père en lui apportant des planches déjà disposées en forme de croix, un signe prémonitoire ! Joseph qui a perçu le message, interroge Marie du regard, qui sait, Elle aussi !
Vitrail offert par Monsieur Havet-Meunier 1899.
La sainte Famille
- saint Benoit-Joseph Labre écoute au milieu d'un groupe d'enfants, un jésuite prédicateur dans l'enceinte du Colisée.
Benoit-Joseph Labre, surnommé le "vagabond de Dieu" a été canonisé par le pape Léon XIII en 1881. Il a joué un grand rôle dans la conversion du poète ardennais Verlaine, qui a fréquenté le Rethélois à cette époque. Le saint est le protecteur des célibataires, des mendiants, des sans domicile fixe, des pèlerins et des itinérants en général.
saint Benoit-Joseph Labre auréolé qui influença Verlaine
- les trois vitraux de la galerie haute représentent :
à gauche : la Charité (Caritas)
au centre : la Foi (Fides)
à droite : l'Espérance (Spes)
au-dessus : le Bon Pasteur
Les Vertus théologales pour guider les Hommes dans leur rapport au monde
L'examen de ces vitraux mérite bien un petit détour par Le Chesnois-Auboncourt.
JLC
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