L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

Saint-Gibrien : un "sacré" marcheur

Saint Gibrien : un "sacré" marcheur

Destination Marne pour tous

" Il était venu de son pays de neige..." chantait France Gall en 2001 pour évoquer la Norvège et son climat que l'Ardennais imagine volontiers hivernal.

 

Gibrian (= Gibrianus, Gibrien) est venu, lui, de son Hibernie natale au Ve siècle pour cheminer sur les routes de la Gaule en pleine christianisation. L'Hibernie (du latin Hibernia) ainsi nommée par les Romains, en raison de son climat froid comparé à la douceur méditerranéenne, n'est autre que l' Ecosse, le pays des Scots

 

Gibrian ne vient pas seul : il est accompagné de ses 6 frères et de 3 sœurs. Toute la famille n'a qu'un objectif : débarquer au pays du royaume des Francs et transmettre sa foi au peuple païen.

 

Parvenus sur le continent, malgré la menace de leur mère qui les avait promis à la noyade à leur naissance, tous les dix, munis de leur bâton de pèlerins, cheminent à travers la Bretagne. Plusieurs lieux conservent d'ailleurs toujours la trace de leur passage. Les sept garçons et leurs sœurs quittent la terre des sept saints bretons qui font de nos jours le succès du Tro-Breiz. Ils décident de mettre le cap vers le pays de Reims où un saint abbé a forte réputation.

 

Saint Remi, le personnage tant vénéré, les accueille et les déclare ses disciples. Il propose à l'aîné, Gibrian qui, seul a le titre de prêtre et que nous appellerons désormais sous son nom connu : Gibrien, de rejoindre les bords de la Marne du côté de Châlons. Ses frères et sœurs s'installent à proximité.

 

------♦------

 

Les églises marnaises conservent leur souvenir : HÉLAN à Bisseuil, TRESAIN à Avenay, mais il fut aussi curé de Mareuil-sur-Marne, GERMAIN à Avize, VERAN à Matougues, les traces se perdent pour ABRAN, PÉTRAN et leurs sœurs : FRANCHE, PROMPCIE (ou PROMCE) et POSSENNE. Ils portent tous le titre de saint ou de sainte.

La pierre tumulaire de sainte POSSENNE a été retrouvée au sanctuaire de Binson. Il va sans dire que de nombreuses églises de la vallée de la Marne possèdent des statues qui évoquent leur mémoire. Nous irons leur rendre visite une autre fois.

 

------♦-------

 

Gibrien choisit de s'installer au confluent où la Coole se jette dans la Marne. Il bâtit en cet endroit un oratoire sur un lieu appelé Cosse ( Cosla en latin ) qui pourrait correspondre au village actuel de Saint-Gibrien mais plus vraisemblablement à celui de Coolus qui abrite sa chapelle et son tombeau ; la légende colporte l'idée que le saint décéda au village qui porte aujourd'hui son nom.

 

Flodoard, (894 - 966) l'historien chroniqueur chanoine rémois, relate l'histoire de Gibrien, il affirme que le saint homme « vécut longues années sobrement, justement et pieusement, s'appliquant jusqu'à la fin de sa vie à combattre pour le salut » Certains auteurs le disent ermite, vivant en reclus, d'autres le voient sillonnant les contrées païennes, appuyé sur son bâton cantoral et prêchant l'Évangile.

Il visite ses frères et sœurs qui ont fait de lui leur précepteur, se rend à Reims auprès de saint Remi et fréquente souvent Wasigny, au nord de Rethel, dont il a fait l'une de ses résidences préférées.

 

Par sa démarche d'évangélisateur, toujours en quête d'âmes à convertir, posant ses pas dans le sillage du Christ, le saint confesseur finit par acquérir une solide réputation ; ainsi lit-on dans le tome V des Petits Bollandistes : « ce qui lui donnait encore plus d'autorité, c'était son amour extraordinaire pour l'oraison et pour le travail ; son abstinence admirable dans le manger et son infatigable activité dans l'exercice de toutes les vertus ».

 

Saint Gibrien quitte la vie terrestre un 8 mai, peut-être en l'an 509 et son culte commence alors un long parcours qui va durer plusieurs siècles.

 

chapelle de Coolus.jpg

 Aujourd'hui la chapelle Saint-Gibrien à Coolus (photo web)

 

 coolus chapelle 2.jpg

 Photo web du site : gaeldanssonmonde.canalblog.com

 

Flodoard poursuit son récit : « ...son corps fut d'abord enseveli sur le bord de la grande route publique et qu'ensuite sur la tombe fut construit un petit oratoire, à cause de quelques miracles qui y avaient été opérés...» Trois femmes retrouvent la vue, une autre, appelée Grimoare, l'usage d'une main. Il y a foule autour de la tombe, surtout le jour de la fête de son inhumation.

 

Bouzy : une halte de courte durée

Beaucoup plus tard, vers la seconde moitié du IXe siècle, les Normands débarquent sur le territoire et ravagent l'ouest et le nord du pays. Ces Normands, ainsi désignés car déferlant du nord, sont les Vikings venus de la Norvège, le pays de neige cher à France Gall.

La ville de Châlons est prise et brûlée, le même sort s'abat sur l'abbaye de Saint-Memmie et sur la petite chapelle de saint Gibrien.

 

Mais le bruit des miracles opérés sur la tombe du saint confesseur se répand loin dans la contrée et parvient aux oreilles du comte Haderic qui s'empresse d'adresser une supplique à Rodoard, l'évêque de Châlons afin de transférer au plus vite le tombeau et sa relique vers un lieu sûr.

 

Flodoard embellit la narration du transport par un épisode merveilleux où la main de Dieu intervient pour conduire la barque à bon port avec ses passagers, qui sont les hommes de main du comte ; ceux-ci,  «abordant à l'endroit où était le sépulcre, ouvrent le cercueil de pierre qui renfermait la sacré corps, l'enlèvent avec révérence et le remettent dans un coffre tout neuf et préparé exprès ; ensuite transportés de joie, ils reviennent au bateau, repassent promptement la rivière et transportent les reliques en les accompagnant de louanges au village de Balbi. ( ad vicum Balbiacum), où il est constant qu'elles furent conservées avec grand honneur pendant trois ans; de là elles furent transportées en pompe dans l'église de Saint-Remi...» Source : Gallica.bnf.fr dans Histoire de l'Eglise de Rheims par Flodoard, page 527

 

Discussion

 

Plusieurs auteurs ont assimilé le lieu à Barby dans les Ardennes ( canton de Rethel). Ce village est cité dans la liste des dîmes de Saint-Timothée dans le dernier quart du Xe siècle  : In pago Porcensi ... de Balbeio (Le polyptyque et les listes de cens de l'abbaye de Saint-Remi de Reims, page 96 dans Travaux de l'Académie Nationale de Reims 163 volume 1984).

"Flodoard, dans son Histoire de l'Eglise de Reims, indique Barby (Balbiacum ou Balbeium) comme étant le lieu où les reliques de saint Gibrien furent transportées, vers 895, sous l'archevêque Foulques, de Cosle (Cosla), au diocèse de Châlons, par les soins de Haideric (Haidericus religiosus comes). Ces reliques y séjournèrent jusqu'en 898, époque où elles furent transportées à Saint-Remy de Reims. - Le mot Balbiacum est inexactement traduit par Balby, dans l'édition de Flodoard donnée par l'Académie de Reims. Le village de Barby est également appelé Balbeyum dans une charte de 1168 du cartulaire du comté de Rethel, et la forme Barbeyum parait être plus moderne"

Source : Gallica.bnf.fr dans Documents sur la famille du Chancelier Gerson et sur les villages de Gerson et de Barby, page 26.

 

Dans une autre publication, l'historien Jean-Pierre Devroey précise que sous l'épiscopat de Foulques: «les restes de saint Gibrien sont amenés depuis le village de Cosla (actuellement Saint-Gibrien près de Châlons) jusqu'au vicus Balbiacus, où réside le comte Haideric, avant d'être transférés à Saint-Remi.»

En bas de page, sous le renvoi 92, l'auteur ajoute : 

«Le vicus Balbiacus devait être la résidence principale du comte Haideric. Philologiquement, le nom de lieu le plus proche est Barby (Ardennes, canton de Rethel), cité dans la liste des dîmes de Saint-Timothée (voir ci-dessus). Comme le suggère J.-C. Malzy, il s'agit plutôt de Bouzy (Marne, canton d'Ay), philologiquement passable et historiquement beaucoup plus plausible. Le petit dossier hagiographique rassemblé par Flodoard suggère qu'il n'y avait pas plus d'un jour de voyage entre Saint-Gibrien et le vicus, situé sur la rive gauche de la Marne. Les envoyés d'Haideric attendent un batelier avant le chant du coq pour traverser le fleuve. Ensuite, après l'ouverture du tombeau de Gibrien et le transfert de ses restes dans une châsse neuve, ils retraversent rapidement le fleuve et transportent les reliques ad vicum Balbiacum. Pour rejoindre le diocèse de Reims à partir de Cosla, il suffit de traverser la Marne pour atteindre Bouzy sans étape (19 km à vol d'oiseau). Les péripéties successives de la translation de saint Gibrien ont duré cinq ans ( de 894/895 à 899/900)»

Source : La Villa Floriacus et la présence de l'abbaye des Fossés en Rémois durant le Haut Moyen Age. Jean-Pierre Devroey. Publication de la revue belge de philologie et d'histoire. Tome 82 fasc.4 - 2004 sur le site www.persee.fr

Merci à Pascal Odienne pour sa signalisation

 

Les reliques rejoignent donc Reims, « elles sont confiées à la dévotion du gardien et déposées honorablement auprès du sépulcre du très saint père Remi ; deux ans après, le comte Haideric et sa femme Hérisinde supplièrent humblement le seigneur évêque Foulques de leur accorder un lieu pour la sépulture du saint, du côté droit de l'église, à l'entrée de la grotte, ce qu'il leur accorda ; alors ils firent bâtir un autel qu'ils couvrirent d'argent, et où les sacrées reliques furent déposées avec respect...» poursuit Flodoard, contemporain de l'évènement. 

 

Le bâton dit de saint Gibrien

Le visiteur du musée Saint-Rémi de Reims, ébloui par tant de richesses exposées à tous les étages, passe rapidement devant une vitrine de la salle des arcs boutants, pourtant elle mérite toute son attention.

Aux côtés de quelques pièces prestigieuses, comme la petite tête reliquaire en bronze doré, unique en Champagne-Ardenne et signalée par M. Ghislain dans le catalogue d'exposition de Liège ( voir article sur ce blog ), figure une drôle de canne savamment sculptée  présentée sous la mention : bâton dit de saint Gibrien

 

Reims 018 bis.jpg

Bâton dit de saint Gibrien

 

Descriptif :

Le prétendu bâton de saint Gibrien ressemble à celui des premiers pèlerins.

A l'origine, il mesurait 1, 55 m dont 0, 15 m pour la volute aujourd'hui disparue, elle était en ivoire.

Quatre morceaux qui s'emmanchent par des viroles sont sculptés de 20 compartiments avec moulures à rangs de perles entre deux filets, unis par un fleuron à quatre feuilles.

Plusieurs ouvrages du XIXe siècle décrivent en détail l'antique bâton. Nous avons retenu "l'Histoire et Description de Notre-Dame de Reims" tome II - 1861 pages 457 à 466 en suivant le chanoine Cerf dans son récit.

 

Reims 028 bis.jpg

 

Le choix des matériaux dans la confection du bâton n'est pas anodin. L'ivoire de la volute est choisi pour sa "douceur à ramener les faibles" ; le buis de la hampe est préféré pour sa dureté assimilée "à la fermeté des dogmes" ; enfin le fer du pied donne de "la sérénité contre les rebelles".

La lecture des sujets sculptés s'effectue, comme pour certains vitraux anciens, du bas vers le haut.

Les scènes narrent les épisodes de la vie du Christ.

Ainsi le fragment inférieur se divise en quatre compartiments avec : l'Annonciation, la Visitation, la Nativité, l'apparition de l'Ange aux bergers, le voyage des Mages, l'Adoration des Mages, l'apparition de l'Ange aux Rois Mages, la Présentation au Temple.

 

Le second fragment développe la suite en neuf épisodes, le troisième en comporte onze. Le dernier manque, il montrait huit scènes dans cinq compartiments et se terminait par la descente du Saint Esprit sur les apôtres, appelée Pentecôte.

 

Reims 030 bis.jpg

Reims 032 bis.jpg

 

 

Le bâton ne porte pas de trace de polychromie. Compte tenu de la sculpture grossière des motifs, on a cru longtemps qu'il datait du VIe siècle, mais en 1852, Eugène Grésy fait paraitre une étude sur deux objets quasi identiques parfaitement datés, ils sont postérieurs au XIe siècle.

Le premier bâton de crosse appartient à l'abbé Jean de Marigny devenu évêque de Beauvais puis archevêque de Rouen en 1347, il est conservé au musée d'Evreux, le second sert à l'abbé Gautier de l'abbaye Saint-Martin de Pontoise élu en 1069, la pièce est conservée au musée de Cluny à Paris.

Avec celui de Reims, un quatrième bâton est identifié ; il aurait appartenu à sainte Aldegonde de Maubeuge. Compte tenu des similitudes relevées entre les objets les archéologues pensent qu'ils pourraient provenir d'un même atelier.

Le bâton crosse de Reims daté du XIIe siècle n'a donc pu appartenir à saint Gibrien qui n'avait d'ailleurs pas le titre d'évêque pour posséder cet attribut ni celui de père abbé. Pourtant il existait bien une canne attribuée à saint Gibrien, on la portait en procession le jour de sa fête, elle était conservée dans le trésor de l'église Saint-Rémi. Elle fut sauvée par un particulier du pillage révolutionnaire et remise à Mgr de Coucy, en 1822. Le bâton-canne « était surmonté d'une poignée en forme de béquille, en cuivre ou en argent doré, revêtu de diamants, toujours enveloppé dans un fourreau » comme le précise un courrier du chanoine Cerf dans la revue de Champagne et de Brie ( Année 1895 tome 7- 20 AN - SER2 page 492/93 ).

La tradition admet que le saint confesseur a utilisé cette canne sur la fin de ses jours comme aide à la marche. Le corps du défunt a séjourné à Bouzy sans la fameuse béquille.

 

 La stratégie de l'abbé Odon

Eude ou Odon, le trentième abbé de l'abbaye Saint-Rémi de Reims fait le voyage à Rome pour se plaindre des agissements du comte de Rethel avec lequel il a un gros différent ; profitant de sa présence en lieux saints, il se recueille sur le tombeau des Apôtres dont la proximité déclenche une extase mystique ; lui apparaissent alors des moines vêtus d' habits inconnus.

Pendant le voyage du retour, l'abbé essuie une tempête de neige lors de la traversée des Alpes, il est contraint de demander asile auprès du prieur de la Grande Chartreuse.

Invité à l'office, Odon reconnait sur les religieux, les vêtements aperçus lors de sa vision, le prieur lui explique que ce sont ceux de la tenue habituelle des chartreux. L'abbé rémois saisit ce signe du ciel comme une invitation à créer une communauté de chartreux dans le diocèse de Reims.

La fondation sera la toute première de France puisque le Dauphiné ne lui est pas encore rattaché à l'époque.

Avec la bénédiction de l'archevêque de Reims, Renaud II de Martignac, le choix du lieu d'implantation de la nouvelle communauté s'arrête sur un coin de la forêt ardennaise, propriété de l'abbaye Saint-Remi.

Le monastère est bâti en l'honneur de la Vierge Marie et de Saint Jean-Baptiste sur le mont Boson rebaptisé Mont-Dieu pour la circonstance.

La première pierre est posée le 23 mai 1130. La charte de fondation, approuvée par le pape Innocent II est de 1137. Parmi les signataires figure Ursion, abbé de Saint-Denis de Reims, proche voisin d'Odon.

 

La première chapelle bénite par l'archevêque Samson en 1136, en même temps que la Correrie, résidence des frères lais, ne suffit bientôt plus pour contenir la communauté. La construction d'une plus grande église est devenue nécessaire.

 

En fin stratège, Odon décide d'exposer les reliques du Bienheureux Gibrien dans la basilique rémoise, qui accueille bientôt une foule considérable de pèlerins venus réclamer les faveurs de l'intercession du saint.

L'affluence est immense, à tel point que, certains jours, la grande basilique ne peut contenir toute la foule qui s'y presse.

Naturellement toutes les offrandes récoltées sont affectées à la construction de l'église du Mont-Dieu.

 

A Reims "les miracles se multiplient tant que les constructions de furent pas achevées" indique le narrateur de l'histoire de la chartreuse du Mont-Dieu dans le Bulletin du Diocèse de Reims (Année 1872 aux pages 493 et s.; 505 et s. ; 529 et s.) auquel il est fait référence.

L'abbé Odon sait mener une action forte de " publicité " pour attirer le maximum de généreux donateurs.

 

Il procède d'abord à la reconnaissance officielle des reliques de saint Gibrien, puis à leur translation ; cette dernière donne lieu à une grande cérémonie organisée le 16 avril 1145.

Pour la circonstance il fait confectionner une nouvelle châsse par l'orfèvre Hubert réfugié dans l'abbaye de Saint-Remi. Dans le même temps il charge son moine Baudouin de consigner par écrit tous les miracles qui se produiront devant ses yeux.

 

«Le désir de faire connaitre les mérites d'un saint nouveau ou peu renommé amenait à choisir comme zone de prospection une région relativement proche de l'église de départ pour que les fidèles pûssent ensuite, sans trop de difficulté, venir honorer le saint dans son sanctuaire. Ainsi la châsse que l'on fit circuler pour la fabrication du reliquaire de saint Gibrien parcourut les villages voisins "castella vicina et villas"

(dans : Les voyages de reliques aux onzième et douzième siècle Pierre André Sigal Presses universitaires de Provence pp. 73-104)

 

Trois livres du moine Baudouin sont parvenus jusqu'à nous.

Le premier décrit la vie de saint Gibrien et la translation de son corps à Reims puis donne le détail des miracles opérés du 16 avril au 11 mai 1145.

Le second dresse la liste des miracles du 11 mai au 3 juin et le troisième est consacré aux miracles et aux guérisons enregistrés de la fin juin à fin août.

 

Les historiens en ont tiré d'intéressantes analyses sur l'époque.

Pour donner plus d'authenticité aux événements le moine Baudoin n'hésite pas à citer des personnages influents : « Hugues de Rouci étant aux matines de saint-Remi (  donc dans l'abbatiale ) avec la comtesse Richilde son épouse, toute la cour et un grand peuple furent témoins d'un miracle qui s'opéra devant les reliques de saint Gibrien ». Histoire Littéraire de la France tome XII -1763. page 235

Notons qu'un successeur de l'abbé Odon, Jean Chinchant procédera de la sorte en 1290 pour collecter de nouveaux fonds. Les reliques sont exposées, les miracles se multiplient et les aumônes abondent.

Saint Gibrien s'exporte en Lorraine

En 1145 toujours, Etienne de Bar, évêque de Metz, cède aux bénédictins de Saint-Remi le territoire de Maiseray.

Aujourd'hui ce hameau est rattaché à la commune d'Essey et porte le nom d'Essey-et-Maizerais, proche de Toul, dans le département de la Meurthe-et-Moselle.

Au XIIe siècle le village est encore en terres barroises.

 

Odon fait construire un oratoire dans sa nouvelle dépendance et y transfère « une partie notable du corps du prêtre Gibrien » ( Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc 1905 série 4 tome 4 pages : XXXVII à XL )

 

Continuons la lecture : « Ce fut l'origine d'un pèlerinage qui devint bientôt populaire dans le Barrois, que les damoiseaux de Commercy favorisèrent, et dont la vogue pénétra fort avant en Lorraine lorsque Philippe de Gueldres ( c'est une femme ! ) dévote à saint Gibrien, se fit céder le patronage de la chapelle de Maiseray et le donna à son monastère des Clarisses ( 1537 ) » de Pont-à-Mousson. C'est Robert de Lénoncourt qui est à l'origine de la donation en faveur de Philippe de Gueldres.

 

Jeanne d'Ures ( ou d'Urre ) de Thissières ( ou Tessières ), dame de Commercy a pour confesseur, dans les années 1614, un chartreux : dom Antoine de Menna qui lui suggère de fonder à perpétuité dans cette chapelle, une messe en reconnaissance de la guérison qu'elle avait obtenue par l'intercession de saint Gibrien.

La dame donne une belle somme d'argent à prendre sur l'hôpital de Saint-Mihiel, elle exige aussi que la nomination de la chapelle appartienne au prieur bénédictin de Saint-Mihiel, ce que confirme pleinement Maillane, évêque de Toul en 1616.

 

Poursuivons la lecture : « A l'approche de la Révolution ils retirèrent de Maiseray les reliques de saint Gibrien et les ramenèrent à Saint-Mihiel d'où elles ont disparu à une date indéterminée. Jusque-là le pèlerinage était resté en faveur : sa vogue reprit après la Terreur. Chaque année la fête patronale amena à Maiseray un grand concours de population, mais les désordres qui s'y multipliaient forcèrent l'autorité à en décréter la suppression en 1855. »

 

..."Jusqu’à la Première Guerre Mondiale, une chapelle en l’honneur de Saint-Gibrien était érigée au hameau de Maizerais. Elle était un lieu de pèlerinage annuel et les pèlerins affluaient de toute la région le premier dimanche du mois de mai. De nombreuses cannes étaient pendues dans cette chapelle car on attribuait à Saint-Gibrien des guérisons miraculeuses.

Lors de la Première Guerre Mondiale, le hameau de Maizerais, comptant 135 habitants, a été entièrement détruit, y compris la chapelle.

Après la guerre, le hameau n’a pas été reconstruit, excepté une ferme.

Les habitants de la commune ont alors édifié une nouvelle chapelle dans un blockhaus et elle a été inaugurée le 12 février 1933.

Jusqu’en 1980, date du départ en retraite du prêtre, elle est redevenue un lieu de pèlerinage annuel. Cette chapelle s’est peu à peu dégradée mais les habitants sont unanimes à la voir restaurée"... extrait du site  Fondation du Patrimoine :

http://www.fondation-patrimoine.org/fr/lorraine-15/tous-les-projets-722/detail-chapelle-saint-gibrien-a-essey-et-maizerais-15063 

 

Oratoire_Maizerais.jpg

L'oratoire de Maizenais (photo web: Wikipédia)

 

Au XIXe siècle, une statue de saint Gibrien, provenant de la chapelle, puis conservée un moment au monastère des Clarisses de Pont-à-Mousson, se voyait dans l'église Saint-Laurent de cette même ville. Elle représentait le saint abritant sous son manteau un pauvre estropié. Nous ignorons si elle existe toujours : avis de recherche lancé aux internautes !

Une affaire de famille

Comme on vient de le voir, les liens entre les bénédictins et les chartreux du Mont-Dieu étaient très étroits. Dans les temps difficiles de guerres ou de conflits l'entraide jouait pleinement. Ainsi en 1562, les chartreux sont menacés et doivent fuir au plus vite, ils se réfugient chez les bénédictins de Mouzon.

Ils y reviendront à plusieurs reprises dans le cours de l'Histoire.

Il n'est donc pas surprenant de découvrir une partie des reliques de saint Gibrien chez les moines mouzonnais.

 

Quant aux relations qu'Odon entretient avec la Lorraine, un rapprochement peut être tenté pour les expliquer.

Etienne de Bar est nommé évêque de Metz par le pape en 1120 ; il le restera jusqu'à sa mort le 29 décembre 1163. Toute son éducation depuis l'enfance est assurée par son oncle maternel Guy de Bourgogne, archevêque de Vienne.

L'archevêque est élu pape en 1119 sous le titre de Calixte II, l'année suivante il assure la promotion d'Etienne, qui ne sera sacré évêque de Metz qu'en 1122.

L'autorité du nouvel évêque sera fortement consolidée par l'aide de son frère Renaud, comte de Bar.

Ce Renaud 1er dit le Borgne est aussi comte de Verdun, c'est un homme de guerre et d'autorité qui finit par entrer en conflit avec l'évêque de Verdun qui sera désavoué par le concile de Chalon et déposé en 1129.

 

Pour remplacer l'évêque déchu, on fait appel à l'abbé Ursion de Reims, qui a fort à faire, lui aussi, avec le comte Renaud. Ce dernier, pendant l'absence de l'évêque, fait dresser en un temps record la fameuse tour de Courlouve dans Verdun pour rendre la ville imprenable.

A son retour le pauvre évêque Ursion échappe de justesse au meurtre et abandonne sa charge épiscopale ; il fuit et rentre au calme dans son monastère rémois.

 

@jeanlucCollignon.

 

 



12/01/2022
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 62 autres membres