VAUX-MONTREUIL et son église abritant une Mise au Tombeau
Une église par monts et par vaux
L'église Saint-Pierre et Saint-Sébastien de Vaux-Montreuil, blottie dans son écrin de verdure entre monts et vallons, dépendait depuis toujours de l'abbaye bénédictine Saint-Pierre-les-Dames de Reims aujourd'hui disparue. L'abbaye rémoise avait pourvu à son édification au XIIe siècle en lui attribuant un élément de son patronyme. A la veille de la grande Révolution, l'abbesse était toujours seigneur du lieu, celles qui l'avaient précédée possédaient des censes sur le terroir aux lieudits Wignicourt, Le Pas, Puiseux, Cohault, dont les hameaux conservent maintenant le nom.
Les origines romanes de l'église se lisent au portail occidental, dans la nef et dans le bras du transept nord.
Sous le porche de l'entrée, les deux colonnes qui encadrent la porte de la nef arborent des chapiteaux au décor végétal très primitif. Sur la première corbeille, trois feuilles plates en forme de fer de lance étalent leur limbe barré d'une grosse nervure longitudinale. Un modèle similaire est reproduit sur la seconde corbeille, mais les feuilles s'y dressent sur deux niveaux d'épaisseur, les plus élevées se terminant en crochets.
Deux chapiteaux de facture romane
Lorsque Manassès de Rethel, qui se déclare pour la circonstance seigneur de Saulce-aux-Bois, accorde une "assise" aux habitants de Sevricourt et Bertincourt en ce mois de décembre 1237, il ne manque pas de faire référence au ban "Sancti Petri de Valle Monstruosa", de Saint-Pierre de Vaux-Montreuil. En 1253, le même Manassès, rappelle qu'il est aussi seigneur de Bourcq pour acheter aux frères Guillaume et Gilles de Monclin, un pré qu'ils possèdent à Chanteraine près de la rivière de la Saulces. Guillaume met en "contrewaige" deux moitiés de bois qu'il possède à Monclin, lequel bois se situe entre Monclin et "Vaux Mesteruel". Le village de Vaux-Montreuil est donc bien identifié à l'époque du Moyen-Age.
C'est précisément en ce XIIIe siècle que l'église romane connait ses premiers remaniements avec des travaux réalisés au niveau du transept. Ils inaugurent une longue série de transformations de l'édifice qui s'échelonneront au cours des siècles à venir. Certaines ont fait l'objet d'inscriptions : 1526 ou plus récemment 1847, date à laquelle la chapelle méridionale est modifiée.
Les contraintes du terrain obligent parfois les restaurateurs à négliger les règles de l'esthétique. La réfection du mur du bras du transept méridional est réalisée en rompant le parallélisme avec le mur de la chapelle nord. Les entrepreneurs Pierre Dervin et Henri Moreau sont chargés à la fin du XVIIIe siècle d'élever la tour du clocher, ils seront contraints de la décentrer par rapport à la façade primitive. Le clocher incendié en 1863 ne sera réparé qu'en 1874.
Si la structure originelle de la nef reste peu modifiée avec ses piliers massifs de section carrée que souligne une imposte moulurée, son vestibule roman fait l'objet de rajouts comme ce monument réinstallé dans la partie basse à une date inconnue. Il représente les évangélistes. Deux faces sont visibles, les deux autres sont prisonnières de la maçonnerie. La taille en bas relief a beaucoup souffert et ne permet plus une identification précise des personnages. On devine toutefois l'aigle de saint Jean.
Un évangéliste bien dégradé
Au transept nord, les consoles en cul de lampe, reçoivent les gros tores de l'arc soutenant la voûte ; elles présentent un motif de décoration analogue à ceux de l'entrée ; ce décor est roman lui aussi.
Retombée des arcs au transept septentrional
Les vestiges moyenâgeux ne sont pas qu'architecturaux. La statuaire fournit un bel exemple avec une Vierge à l'Enfant perchée haut sur une console de la nef. Sa datation a rendu perplexe l'abbé Jean Sery lorsqu'il décrit cette œuvre dans son « Evolution de la Statuaire Mariale du Moyen-Age à nos jours». La statue est issue de «l'art populaire local d'une touchante rusticité et d'une attachante sérénité», mais sa datation est «chose délicate». Le sculpteur, un paysan du cru, a simplifié les détails, en rendant son œuvre difficile à situer parmi les exemples connus. Aussi, la Vierge présente des caractères rattachables aux critères propres à l'art gothique du XIIIe siècle, mais aussi à ceux du XIVe, voire du XVe siècle. L'historien de l'art en conclut qu'il «serait peut-être raisonnable de parler de modèle du XIIIe siècle, sculpté au XIVe sans doute assez tardivement si on tient compte du retard qui intervient toujours à la campagne».
La Vierge gothique (photo : M. Ciolek)
Un mobilier essentiellement baroque
Le maître-autel placé sous le vocable du prince des Apôtres est marqué de toutes parts de l'empreinte du courant baroque que suscite la Contre-Réforme. Son autel a la forme d'un tombeau en souvenir des sarcophages du début de l'ère chrétienne abritant les précieuses reliques des saints martyrs. Le marbre veiné est choisi pour sa réalisation.
Derrière, la niche du retable abrite la statue de saint Pierre représenté debout et tenant les deux clés ouvrant les portes : 1) du monde céleste, elle est d'habitude d'or, 2) du monde terrestre, elle est sensée être d'argent, car Jésus a dit : «Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur terre sera délié dans les cieux» (Matthieu : 16 ; 18 - 19). De part et d'autre de la niche, six colonnes en marbre portent un baldaquin à grandes consoles recourbées. Les chapiteaux dorés des colonnes sont d'ordre composite.
Le cul de four est revêtu d'une peinture relatant une scène de l'Ancien Testament, une préfiguration biblique aux Actes des apôtres dont un passage évoque l'action et le reniement de saint Pierre.
Le maître-autel
Le soubassement des murs du chœur est recouvert de boiseries peintes et stuquées. Des motifs occupent le centre des cartouches : s'y reconnait notamment l'image de l'agneau couché sur le livre fermé par les sept sceaux.
Sur des consoles disposées latéralement, les statues de saint Roch et de saint Eloi se font face.
Deux verrières consacrent le Cœur Sacré, l'un celui de Jésus l'autre celui de Marie, la reine des cieux. Chacun comporte la mention du généreux donateur. Ils ont été exécutés en 1879 par le maître-verrier rémois Marquant.
Pierre Adhémar MARQUANT-VOGEL (1828 - 1903) est l'artisan incontesté du renouveau de la peinture sur verre à Reims. Ses œuvres ont été inventoriées dans un ouvrage que l'auteur a lui-même publié sous le titre de "Notice des travaux de peinture à l'huile et sur verre de Marquant-Vogel, artiste peintre" Paris Chérié libraire éditeur 1881.
Sous l'arcade de l'arc triomphal deux autres statues se font face également : saint Nicolas, à droite en tenue d'évêque, à gauche, saint Quirin portant dans la main, sa calotte crânienne tranchée.
Ce saint Quirin est le saint normand qui accompagnait saint Nicaise de Rouen, premier évêque de la ville, qu'ils évangélisèrent tous deux, avec un troisième compagnon, le diacre saint Scuvicule (ou saint Egobille) vers la fin du IIIème siècle. Leur démarche a été comparée à celle de saint Denis et ses compagnons, le prêtre Rustique et le diacre Eleuthère venus évangéliser la région parisienne. Ils subirent le martyre sous l'empereur Domitien qui les fit décapiter. Les corps des trois normands furent inhumés à Gasny dans l'Eure, leurs reliques transférées d'abord à Condé-sur-Aisne puis à Malmédy en Belgique. Saint Quirin de Vaux-Montreuil ne doit pas être confondu avec son homonyme, le tribun romain martyrisé au IIème siècle, dont le culte fut réactivé au XIe siècle par l'abbesse Geppa, la sœur du pape Léon IX.
Saint Quirin est habituellement invoqué pour guérir les maladies cutanées appelées "mal de Saint Quirin", une sorte d'œdème. A Vaux-Montreuil, il aidait à guérir les migraines tenaces et les maux de tête (il avait été décapité!...) Sa fête est le 4 juin.
Au nord la chapelle comporte un autel secondaire dédié également à saint Pierre. Le retable évoque son évasion relatée dans les Actes des Apôtres (chap. 12, versets 1 à 11). Au-dessus de la statue, apparait La Navicelle une allégorie de l'Église en souvenir de la barque des apôtres secouée par la tempête, épisode au cours duquel le Christ marchant sur les eaux sauve saint Pierre de la noyade.
Dominant l'ensemble, disposée sur le fronton du retable, la tiare papale élève ses trois degrés (trirègne) rappelant les trois pouvoirs du pape : le premier d'ordre sacré pour la nomination des évêques, le second d'ordre juridictionnel pour son pouvoir de lier et délier sur terre et au ciel, le troisième enfin d'ordre magistériel, depuis la reconnaissance de l'infaillibilité pontificale.
l'Autel nord dédié à saint Pierre
Au sud la chapelle est dédiée à saint Sébastien. Sa statue le représente en homme juvénile attaché à une colonne, selon l'image qu'en donneront les représentations du XVe siècle, elle occupe le retable de l'autel baroque.
L'autel sud dédié à saint Sébastien
Un troisième autel secondaire, lui aussi baroque, est dédié à la Vierge. Son tabernacle retient l'attention ; il est décoré de craquants médaillons qui relatent les épisodes de la vie de Marie. En façade : la scène de la Visitation, à gauche l'Annonciation, celle de la Nativité à droite.
Les médaillons du tabernacle
L'autel baroque dédié à la Vierge
A droite de la nef, un ancien tabernacle en bois peint a été conservé. Il est daté du XVIIe siècle ; sa porte sculptée y montre un personnage mi vêtu abrité sous une tenture théâtrale. Malheureusement le bras du personnage est mutilé. Ce pourrait être saint Jean Baptiste baptisant ou plus sûrement saint Jean l'Evangéliste portant le calice, ce qui parait plus approprié pour une porte de tabernacle abritant la réserve eucharistique.
L'ancienne porte de tabernacle
Le mobilier est encore riche de deux tableaux peints représentant une Crucifixion et une Descente de Croix. Des fonts baptismaux octogonaux, une piscine encastrée dans la muraille sont à ajouter à la série descriptive ainsi qu'une statuaire de type saint-sulpicienne avec saint Joseph portant l'Enfant Jésus ou saint Etienne tenant les pierres de sa lapidation (deux statues remisées dans la galerie supérieure).
Un Christ en Croix regarde la chaire à prêcher sans décor à l'exception d'une colombe suspendue sous l'abat-voix, qui parait être un ajout récent.
Les amateurs de bannières y verront une belle broderie consacrée à la Vierge de l'Immaculée Conception.
La Mise au Tombeau
Dans cette église de campagne, l'élément le plus surprenant pour sa rareté, est la Mise au Tombeau.
Les Evangiles restent discrets sur cet événement biblique, aussi les artistes ont-ils pu donner libre cours à leur imagination pour représenter la scène. Ce sont les peintres siennois qui auraient donné naissance au XIVe siècle au thème de la Mise au Tombeau. L'ensevelissement du Christ est le dernier acte et non le moins douloureux de la Passion comme le rappelle Emile Mâle dans son ouvrage : «L'art religieux à la fin du Moyen-Age». En France, la plus ancienne Mise au Tombeau conservée intacte est celle de l'hôpital de Tonnerre dans l'Yonne, elle est datée de 1453.
Auparavant on sait que la tragédie était jouée par des acteurs au cours des fameux "Mystères" (ou mistères), sortes de pièces de théâtre où les figurants évoluaient depuis le parvis jusqu'au chœur de l'église en mimant les personnages de la Bible. Les Mystères furent interdits par un arrêté du Parlement de Paris en date du 18 novembre 1548. Les sculpteurs déjouèrent cette interdiction en multipliant les représentations sculptées de la Mise au Tombeau, encore désignée Saint Sépulcre. L'engouement pour la scène s'étiolera à la fin du XVIIe siècle.
La Mise au Tombeau met habituellement en scène huit personnages : le Christ mort gisant sur son linceul, à sa tête, Joseph d'Arimathie, à ses pieds Nicodème. Sur le côté faisant face au public, la Vierge Marie éplorée est soutenue par saint Jean. Autour d'eux les saintes femmes : Marie Madeleine tenant la boîte à parfum, Marie Salomé et Marie Cléophas, mère de Jacques. Les huit personnages sont parfois accompagnés de soldats, d'acolytes ou des donateurs représentés le plus souvent agenouillés.
A Vaux-Montreuil les personnages ne sont pas disposés dans l'ordre habituel compte tenu de l'étroitesse de l'endroit qu'ils occupent.
Dans les Ardennes une autre représentation de la Mise au Tombeau existe dans l'ancienne collégiale Saint-Martin de Molhain (Vireux-Molhain). D'autres exemples célèbres sont connus en Champagne : dans les basiliques Notre-Dame de l' Epine, Saint-Remi de Reims ou à Chaource ...
Nicodème
Marie en pleurs soutenue par saint Jean
Marie-Madeleine est reconnaissable à sa longue chevelure ; sa main mutilée devait tenir le vase à parfums.
JLC
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