Un Christ tout habillé vu dans Reims
Un Christ tout habillé vu dans Reims
Le traditionnel vu partout
C'est une banalité d'affirmer que chaque église possède un, voire plusieurs crucifix ! Le contraire étonnerait.
En deux mille quatorze ans d'art chrétien la représentation du Christ sur la croix a évolué plus vite que la liturgie. Le rite de célébration de la Passion est toujours le même heureusement.
Par contre le talent des peintres et des sculpteurs s'est exprimé de façon différente selon les époques.
Souvenez-vous :
- le XVe siècle insiste sur l'image de la souffrance de Jésus crucifié, son visage nous est montré déchiré par la torture dans un réalisme presque insupportable. Tout est pathétique.
- les siècles suivants livrent des Christs, certes toujours éloquents, mais d'un réalisme plus discret.
- puis vient l'époque où simplicité et gravité laissent place au déploiement d'artifices, de gesticulations théâtrales dans les personnages entourant le crucifié, qui apparait, lui, souvent sans caractère, dans un art qualifié par certains auteurs de “non sens”.
- le XIXe siècle se veut romantique, mais il oublie parfois le religieux par sa trop grande inspiration puisée dans l'Antiquité païenne.
Cependant tout au long de ces siècles, Jésus cloué sur la croix, est représenté à l'identique.
Sa tête est inclinée vers l'avant, elle est ceinte de la couronne d'épines, son corps nu porte un simple voile autour des reins, ses pieds croisés (ou non) reposent sur le suppedanum, ses yeux sont clos : il est mort ! Ce crucifix est partout : sur l'autel de l'église, accroché au mur de la nef face à la chaire à prêcher, sur les vases et objets liturgiques, les habits sacerdotaux, les missels, dans nos habitations, ou bien encore, en sautoir, autour du cou.
Bien sûr, parfois les agitations de l'Histoire bousculent un peu le traditionnel. La période janséniste marque son époque et laisse des souvenirs, comme dans l'église Saint-Waast de Rilly-sur-Aisne (qui vient d'être magnifiquement restaurée). Là, le Christ en bois peint a les bras en V fermé, et non à l'horizontale, sur chacune de ses mains, deux doigts sont repliés. Il faut dire que le curé Colmart à cette époque est un janséniste notoire dans la région ! Par esprit de contradiction envers ses rivaux jésuites, il milite avec ses partisans pour une représentation différente du Christ sur la croix.
Lui et ses amis aiment prier devant un Jésus aux pieds cloués individuellement sur le suppedanum et les bras levés en signe de victoire.
L'exception rémoise
La basilique Saint-Rémi de Reims accueille à toute époque une foule de visiteurs en admiration devant la pureté des lignes romanes de cet édifice qui demeure, aux yeux de beaucoup, le plus beau de la cité rémoise. Les touristes se pressent autour du tombeau de l'illustre saint, contemplent les chapiteaux historiés du chœur et, si l'éclairage reste actionné, jettent un œil au pavage redressé dans le bas côté nord. De là, ils gagnent l'abside, pour approcher la galerie des tribunes et son triforium, puis la sortie, qu'ils franchissent, enchantés par tant de beauté.
Dommage ! les visiteurs viennent de manquer une œuvre exceptionnelle ; ils sont passés à côté sans la remarquer comme vous pourrez vous-même en faire l'expérience en les observant. Mais ils sont excusables car la plupart des ouvrages n'en parlent pas.
Le Christ en croix tout habillé de la chapelle absidiale nord est unique dans la région.
Le plus proche est à Amiens ou à Tancrémont aux portes de Liège, en Belgique.
L'exception est dans son isolement géographique, le nombre des Christs habillés en France tutoie la dizaine, elle est surtout dans la représentation du personnage lors de sa crucifixion.
Le positionnement du corps sur la croix du supplice est en totale opposition avec la vision de souffrance évoquée plus haut. Ici le Christ est debout, bien campé sur ses deux jambes légèrement écartées. Ses pieds reposent à plat sur un support dont l'assise est horizontale et spacieuse, presque confortable.
Les paumes des mains sont tournées vers le visiteur, les bras écartés s'ouvrent dans un geste d'accueil. Le visage est serein, les cheveux bouclés tombent de part et d'autre d'une barbe soignée dans un mouvement ordonné comme s'ils venaient d'être peignés. Et surtout, les yeux sont ouverts, ils projettent un regard qui cherche à transmettre un message.
Ce Christ là est vivant ! Il triomphe ! Pour cette raison il a revêtu une longue robe serrée à la taille par une longue ceinture à deux pans. La belle tunique repeinte couleur pourpre - elle était violette à l'origine - est parsemée d'étoiles ou plus exactement de fleurs d'œillets stylisées, car cette fleur était jadis symbole de royauté. La ceinture et les ourlets de la robe sont ornés de cabochons multicolores, malheureusement plusieurs manquent aujourd'hui, tout comme la pièce principale du costume : la couronne royale. Voyez ci-dessous la photographie publiée dans un livre de 1948, elle y apparait encore.
Christ triomphant, Christ-Roi ?
La représentation du Christ triomphant remonte aux premiers âges du christianisme, mais elle s'est généralisée au début du IXe siècle.
Le jour de Noël de l'an 800, le pape Léon III couronne le roi Charlemagne du titre d'empereur d'Occident.
Charles, à genoux devant le tombeau de saint Pierre de Rome, reçoit sur sa tête le diadème impérial de la main du Souverain Pontife. Le peuple acclame le nouvel empereur en s'écriant par trois fois : « A Charles Auguste, couronné de la main de Dieu, grand et pacifique empereur des Romains : vie et victoire !» (sur les détails de la célébration relire : “Le Couronnement impérial de Charlemagne”. par Robert Folz. Collection Trente journées qui ont fait la France. NRF Gallimard 1964. page 173)
Cette couronne qu'on lui offre, Charles, reconnaissant, va venir la déposer sur le front du Christ. Il ne veut pas que le Sauveur des hommes soit un souverain mort et vaincu, il veut en faire un roi vivant, victorieux et triomphant.
Charlemagne sait aussi que le peuple s'instruit surtout par les yeux, il va tout faire pour que celui-ci rencontre en toute occasion l'image d'un Christ triomphant, celle du monarque éternel : le Christ-Roi.
Désormais le Roi-Jésus apparaitra en longue robe pourpre dans les églises de l'Empire.
Celui de la basilique Saint-Rémi est du XIVe siècle comme l'indique l'écriteau apposé à proximité.
Il provient de l'ancienne collégiale Sainte Balsamie (nom de la nourrice de saint Remi). L'édifice, dont une rue porte toujours le nom, était situé au niveau de l'actuelle place Saint-Nicaise. Le chœur était séparé de la nef par un jubé sur lequel avait été hissée la croix portant le Christ habillé et sa couronne d'or sur la tête. Il était entouré des statues de la Vierge et de saint Jean. Vous les verrez aujourd'hui dans la chapelle absidiale de la basilique, toujours à ses côtés, portant chacune un livre dans la main.
Eglises Sainte-Balsamie, et Saint-Nicaise (arrière plan) document B.M. Reims
Après la Révolution, la collégiale fut vendue et détruite. Le grand crucifix et les deux statues furent remisés dans un grenier jusqu'en 1857. Après restauration l'ensemble rejoint Saint-Rémi ; il est placé dans la chapelle Saint-Eloi jusqu' à la Guerre 14/18. Cette chapelle absidiale sud en conserve d'ailleurs une trace. Sur les bases des colonnes on y lit : à gauche «ancien calvaire de sainte Balsamie» et à droite «restauré en 1857» (voyez la photo ancienne ci-dessus).
L'ensemble trouve une place définitive dans la basilique, le jour de sa réouverture au culte, le 1er octobre 1958, fête de saint Remi.
Lors de votre prochaine venue à Saint-Rémi de Reims, arrêtez-vous devant le grand Christ, il vaut bien une courte visite ! Si comme moi, il vous séduit, partez maintenant à la découverte de quelques uns des autres modèles du Christ habillé.
JLC.
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