L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

Sainte Gemme de Saintonge et champardennaise aussi !

Sainte Gemme  : une adorée ! 

"J'aime sainte Gemme" : cette homophonie aurait pu jadis, devenir le prélude à une antienne saintgermontoise. 

 

Mais il y a bien longtemps que les louanges chantées à l'endroit de la sainte ne résonnent plus sous les voûtes de l'église Saint-Germain.

Pourtant le village de Saint-Germainmont peut s'enorgueillir d'être la seule localité ardennaise à vénérer la sainte saintongeaise !

 

Le visiteur qui arpente aujourd'hui les travées de la nef est loin d'imaginer qu'autrefois, l'église fut le lieu d'un pèlerinage très fréquenté.

Déjà en 1774 le curé Jacques Gillet, alors âgé de 40 ans et en poste depuis 12 ans, avoue par écrit à son Archevêque méconnaitre cette sainte :

«Il se trouve dans l'église paroissiale un pèlerinage. Les mères apportent leurs enfants lorsqu'ils ont peine à marcher et invoquent à ce sujet une sainte appelée Gemme que je ne connais pas bien».

 

 

Les habitants d'alors y sont pourtant fort attachés car ils regardent la sainte comme une seconde patronne. Cependant le curé hésite à maintenir la coutume du pèlerinage et interroge sa hiérarchie quant à l'utilité de conserver cette fête qui se célèbre tous les 26 janvier.

La réponse ne semble jamais avoir été donnée puisque cent ans plus tard le pèlerinage connait toujours un grand succès.

 

Le bibliothécaire rémois Henri Jadart précisera plus tard:

«... une ancienne fontaine dite Sainte Gemme coulait dans la cour d'une maison de la rue au-dessous de l'église (propriété de Mr Charlier-Duchène). Une petite chapelle a été construite en cet endroit en 1870 et offre une statuette de la sainte. Bien que la fontaine ne coule plus, le fossé par où s'écoulaient ses eaux, existe toujours et les anciens titres des propriétés voisines l'indiquent sous le nom de "fossé de la fontaine Sainte Gemme"».

 

A la fin du XIXe siècle la foule afflue encore nombreuse, ce qui rend nécessaire l'édification d'un oratoire. Il existe toujours en contre-bas de l'église, bien visible depuis la rue Basse entre deux murs d'habitation. Le lieu est aujourd'hui une propriété privée.

 

En façade le fronton conserve l'inscription d'origine : SAINTE GEMME PRIEZ POUR NOUS.

Deux battants ajourés de la porte métallique laissent entrevoir le petit autel intérieur dominé par la statuette de la sainte.

 

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L'oratoire

 

 

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La statuette de sainte Gemme dominant l'autel

 

C'est donc ici que jaillit la source auprès de laquelle : «en 1950, toute la population se rendait encore en procession le jour de la fête patronale. Les autorités, les pompiers, les musiciens, la jeunesse marchaient en tête du cortège. Musique, prières et cantiques rythmaient la cérémonie devant la chapelle pour la circonstance.» extrait du journal paroissial "Chez Nous" Paroisse Saint-Germain en Asfeldois. Article rédigé d'après les renseignements de M. François Prats.

 

La guérison des enfants incapables de marcher ou ayant un retard à la marche était implorée au cours du pèlerinage.

Dans d'autres lieux ce sont les femmes stériles qui invoquaient sainte Gemme pour avoir des enfants, comme par exemple à Vaux-le-Pénil (Seine-et-Marne).

 

J.E.Merceron écrit dans son "Dictionnaire des Saints imaginaires et facétieux" (Éditions du Seuil) :

«Beaucoup moins connue est la petite statue (4,5 cm) trouvée en 1926 dans la crypte nord du transept de l'église de Sainte-Gemme (Charente-Maritime). Cette statue, qui figure peut-être la sainte (fêtée le 22 mai - le 20 juin selon Villepelet 1968), représente une femme tenant dans sa main gauche un objet qui a toutes les apparences d'un phallus en érection et qui pose sa main droite sur son ventre rebondi (Grenou 1998 2ème partie et photos de la statue pages 34/38).

Au même endroit on trouve mention d'un rite impliquant une mariée et des épingles (Grenou 1998)

La sainte était invoquée par les femmes stériles pour avoir des enfants (Réau -1958 Livre III, 2,560, - donne le 16 août comme dies natalis). L'abbé Laude signale discrètement qu'à Neuville-en-Charnie (Orne) sainte Gemme était particulièrement invoquée par les femmes et les jeunes filles "dans leurs maladies". 1899 p.166»

 

Qui est sainte Gemme ?

La légende

On raconte que le père Catilius est de haute distinction; il est préfet de Galice et de Lusitanie.

L'empire romain règne alors en terres hispaniques. La Lusitanie englobe une vaste région qui correspond de nos jours au sud du Portugal et aux faubourgs de la ville espagnole de Mérida.

 

Catilius nourrit de grands espoirs pour sa fille "d'une beauté remarquable et d'une grande distinction" lit-on dans le dépliant touristique édité par le département de la Charente-Maritime.

Il veut la marier à un jeune seigneur du pays dénommé Regulus, mais la belle ne l'entend pas ainsi. Elle refuse toute compromission avec le monde terrestre, ne nourrit qu'un seul désir : embrasser la foi chrétienne et pratiquer ce culte nouveau que professent les fous de Dieu venus d'Orient.

Dans l'empire romain les persécutions envers les chrétiens commencent sous le règne de Néron (mort en 68). La belle portugaise n'y échappe pas en raison de son rang social et pour son refus de sacrifier aux idoles païennes.

D'abord jetée en prison, puis torturée par brûlures au visage, histoire d'altérer sa beauté, elle est décapitée le 15 août 109.

A leur tour, ses deux sœurs Quiterie (ou Quittière) et Libérate (ou Livrade) sont menacées de persécution : elles fuient le pays emportant avec elles les reliques de Gemma.

Elles choisissent l'Aquitaine comme terme de leur périple.

 

Ainsi se résume la vie légendaire de la petite Gemma, telle que l'ont fixée les Bollandistes au XVIIe siècle.

D'autres récits évoquent des versions différentes. En hagiographie la légende embellit souvent les faits que l'Histoire est dans l'impossibilité d'infirmer comme dans le cas présent.

 

Au XIe siècle l'abbaye de la Chaise-Dieu s'empare de l'évènement (ou le crée de toute pièce ?), instaure un pèlerinage sur cette terre d'Aquitaine que le duc Guy Geoffroi vient de lui concéder par charte (1063).

Un prieuré bénédictin y voit le jour vers 1079 et une église est bâtie à proximité ; elle sera achevée avant 1098 selon les textes.

 

 

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L'église Sainte-Gemme (photo : Monique Ghislain)

 

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La statue dans l'église Sainte-Gemme (photo : Monique Ghislain)

 

 

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Sainte Gemme (reproduite avec l'aimable autorisation du Prieuré)

 

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Vitrail de l'église (photo Prieuré de Sainte-Gemme)

 

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L'élégant portail 

 

Sainte Gemme est célébrée le 26 janvier à Saint-Germainmont, en Saintonge la fête a lieu le 20 juin, jour de translation des reliques.

 

De nombreuses communes de France portent le nom de Sainte-Gemme. Elles se répartissent dans les départements : 17, 18, 28, 32, 33, 36, 41, 47, 49, 51, 53, 79, 81, 85.

L'ajout du "S" final (exemple Sainte-Gemmes dans le 41) n'a pas d'explication connue.

Selon Louis Réau (Iconographie de l'Art chrétien - 1955 - p.320) sainte Gemme résulterait de la féminisation de sainte Jame (ou James) devenant sainte Jame ou Gemme, voire Gemmes, comme saint Allllyre s'est transformé en sainte Olive.

 

J.E. Merceron affirme que «par une curieuse déformation les habitants de Sainte-Gemme (canton de Chatillon-sur-Marne) persistent à appeler sainte Jambe leur sainte patronne fêtée le 22 mai comme sainte Quitière ou Quiterie (du latin Quiteria), qui, dans certaines traditions, passe pour être sa sœur (Grenon 1998)»

 

Sainte Gemme dans l'église de Saint-Germainmont

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L'église de Saint-Germainmont (photo Valente de Pinho)

 

La statue trône en bonne place dans l'église Saint-Germain.

Elle se voit en haut à gauche dans la nef sur une console portant son nom. Elle est en bois polychrome et présente la sainte debout. Adossée au pilier nord-est de la 5ème travée, le visage est tuméfié par les brûlures au fer rouge, stigmates de son supplice. La palme de martyre a disparu.

 

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Photo issue du Portail de l'Inventaire du Patrimoine de Champagne : auteur Bruno Decrock

 

Côté épitre l'autel secondaire en pierre est dédié à saint Germain. Il a été restauré à la toute fin du XIXe siècle.

Sous la table d'autel la niche conserve un ensemble sculpté qui parait antérieur à la structure ; il aurait été réincorporé en guise d'antependium. Sainte Gemme gît sur son lit mortuaire, les mains croisées sur la poitrine tenant la palme du martyre.

 

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L'autel méridional

 

A Saint-Germainmont son culte a été emprunté au prieuré de Sainte-Gemme, commune marnaise du Tardenois située près de Dormans.

 

Sainte-Gemme dans la Marne

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L'église Saint-Hilaire de Sainte-Gemme (Marne)

 

Vers 1093 Hugues 1er de Pierrefonds succède à Henri en qualité d'évêque de Soissons.

En 1098 Hugues part pour la croisade dont il ne reviendra pas vivant.

Avant son départ il témoigne son intérêt aux moines clunisiens de Coincy en leur donnant la jouissance de l'autel Sainte-Gemme pour leur monastère de Saint-Martin-des-Champs.

Puis la donation est complétée par Adèle de Blois, comtesse du Vermandois, qui leur cède son droit de vicomté qu'elle exerçait sur Sainte-Gemme (vers 1105/1107).

 

La chapelle du prieuré dédiée à sainte Gemme va connaître désormais pendant tout le Moyen-Âge une réputation enviable en raison de son pèlerinage organisé à la Pentecôte.

Le rendez-vous annuel constituera ainsi une source importante de revenus, une manne que viendront enrichir d'autres donations ultérieures.

 

Vers 1900 une famille du village de Sainte-Gemme conservait une statue reliquaire en cuivre qui provenait du prieuré dont subsistent aujourd'hui quelques bâtiments.

La statue avait été exposée à Reims lors de l'Exposition rétrospective de 1895. Malheureusement son descriptif ne figure pas au catalogue de l'exposition.

 

L'ouvrage d'Auguste Kremser "Monographie sur Sainte-Gemme" rappelle qu' «Un document atteste qu'en 1723 l'église possédait trois reliques enfermées, l'une dans un buste de bois, l'autre dans une jambe et la troisième dans un bras. Lors de la Révolution ces reliques furent dispersées et il n'en subsiste plus qu'une, celle contenue dans la sculpture du bras. Jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle chaque lundi de Pentecôte était organisé un pèlerinage qui se terminait à la source de Sainte-Gemme, sise dans une cave de l'ancien prieuré.»

 

 

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 Nota : la croix qui surmonte le toit du reliquaire ne possède qu'une seule traverse, la seconde qui apparait n'est que son ombre portée sur le mur ! 

 

 

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Le buste reliquaire visible aujourd'hui dans l'église.

 

Le visiteur trouvera sur place un panneau explicatif à l'extérieur de l'édifice.

 

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Bonne visite ! ....

 

@jeanlucCollignon

 

 

 

 

 

 



01/04/2021
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