L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

L'insolite de l'art chrétien : églises de Champagne-Ardenne

SUZANNE : une statuette revisitée dans l'église

Son observation, pour être suffisamment rare, mérite un signalement.

 

L'église Saint-Barthélemy de SUZANNE intégrée à la paroisse Saint-Méen de la Champagne aux vergers conserve une statuette de saint Charles Borromée dont la représentation iconographique est vraisemblablement l'unique exemple recensé dans tout le diocèse de Reims.

Le présent article en propose la description.

 

Il n'y a pas pléthore d'édifices placés sous l'invocation de saint Charles Borromée dans le département des Ardennes. La plus importante église est celle de Sedan. Cet ancien temple protestant a été rendu au culte catholique en 1692 et placé sous le vocable de saint Charles Borromée en l'honneur de l'archevêque de Reims, Mgr Charles Maurice Le Tellier.

 

Une autre église placée sous ce vocable se situe à Bosseval (commune de Bosseval et Briancourt). Sa bénédiction d'ouverture au culte date du 21 Mai 1877. Le plan de l'édifice a été réalisé par l'architecte J. B. Couty.

 

Un édifice, aujourd'hui en partie détruit, victime des bombardements de 1914, est mentionné à Charlemont près de Givet.

 

Sur le plan de la statuaire, l'église de Bosseval conserve une belle représentation du saint évêque de Milan.

Cette statue provient de la manufacture d'Art Chrétien "La Sainterie" qui existait à Vendeuvre-sur-Barse dans l'Aube. Elle porte la signature : H. Nicot, celle vraisemblablement d'Honoré Nicot, successeur dès 1890 de Léon Moynet qui fonda cette fabrique pourvoyeuse de plus de 500 000 figures religieuses en terre cuite.

 

Bosseval

 

Église de Bosseval

Cliché aimablement fourni par Mr René Godi président de l'association "Les Ramounis"

 

Le saint devait tenir dans sa main droite la croix du Christ

 

 

 

La personne de Charles Borromée

Charles Borromée est une figure majeure de la Contre-Réforme.

Acteur principal du Concile de Trente (1545 - 1569), il s'affiche comme un farouche adversaire du protestantisme.

Cet italien né au château d'Arone, dont la ville prospère au bord du lac Majeur, a vu le jour le 2 octobre 1538.

Issu d'une famille noble, son père, Gilbert portait le titre de comte d'Arone, sa mère, Marguerite, avait pour origine l'illustre famille de Médicis à Milan.

Bénéficiant d'un entourage avisé, Charles accède rapidement aux plus hautes fonctions ecclésiales.

Très jeune il est appelé à seconder son oncle, Jean-Ange Médici (dit de Médicis), élu pape. Ce dernier l'élève à la dignité de Cardinal et le promeut archevêque de Milan.

Alors qu'il aurait pu vivre dans les ors dus à ses origines nobles, l'archevêque va s'efforcer de montrer une exemplarité de pauvreté. Il vend ses biens et son héritage pour secourir les faibles; il soigne les malades, aide les indigents, s'investit personnellement pour combattre la grande peste qui décime la population de Milan en 1576.

Il meurt jeune, le 3 novembre 1584. L'Église célèbre sa mémoire le 4 novembre. Il a été canonisé par le pape Paul V en novembre 1610.

 

Une abondante littérature relate les détails de la vie de saint Charles Borromée. Facilement accessibles depuis le web, ils ne seront pas abordés ici.

 

Photo

 

Le Colosse de Saint Charles Borromée (dit aussi Sancarlone) est une statue de plus de 30 m de hauteur située à Arona (Italie), sur le Mont Sacré d'Arona

 

 Le visage a été décrit ainsi : «On le reconnait à son nez long et busqué, à son menton court et en retrait, à ses lèvres serrées, à ses grandes oreilles et à la barbe noire bien que rasée de près, qui couvre ses joues maigres... Saint Charles Borromée était laid. Mais ses larges yeux enfoncés, au regard perdu, le calme de son visage austère, son expression douce et réfléchie traduisent le recueillement»

 

Carlo_Borromeo

 

 

Portrait de Charles Borromée attribué à Ambrogio Figino. Pinacothèque Ambrosienne. Milan 

 

 

Ottavio Bizzozzero

 

Le portrait de saint Charles Borromée par Ottavio Bizzozzero

 

 

 

Tous les biographes sont unanimes : l'évêque de Milan s'est comporté en véritable héros de la charité lorsque l'épidémie de peste décime la ville en 1576.

La contagion faisait fuir les classes aisées, mais l'évêque resta au milieu du peuple, allant réconforter les uns, partageant les souffrances des autres, surtout chez les plus humbles.

Ces épisodes d'abnégation et de courage ont marqué les mémoires à tel point que les artistes se sont emparés du sujet en l'immortalisant sur des tableaux peints.

 

Mignard Le Havre

 

Saint Charles Borromée administre le sacrement aux victimes de la peste.

Œuvre de Pierre Mignard conservée au Musée d'Art Moderne André Malraux. Le Havre

 

 

Il avait une attention particulière pour les enfants malades. Un biographe raconte : "un jour qu'il aperçut un enfant en vie contre les seins de sa mère qui venait de mourir, il se jeta lui-même entre les morts pour sauver la vie à cet innocent".

 

La statuette de Suzanne

La statuette conservée dans l'église de Suzanne mesure une vingtaine de centimètres de hauteur.

Elle fait partie d'un ensemble de trois autres figurines de même nature et de même taille. Elles sont disposées toutes les quatre respectivement dans une niche du retable du maître-autel de conception baroque.

 

suzanne autel

 

le maître autel

 

Suzanne 1

 

Suzanne 5

 

 

la statuette avant nettoyage

 

Le personnage a malheureusement les bras mutilés. Sa main droite devait probablement tenir la croix du Christ contre sa poitrine.

 

Suzanne 3

 

Un enfant pestiféré ou atteint d'une maladie nerveuse étendu aux pieds du saint

 

Suzanne 2

 

le galero avec cordelières et houppes

 

 

A la gauche du personnage figurent, déposés sur un coussin, le chapeau à larges bords appelé galero et ses cordelières (cordons) se terminant par des houppes (pompons). Ces éléments caractérisent la dignité et le rang de l'ecclésiastique. Ils étaient portés notamment par les cardinaux et figuraient toujours représentés au-dessus de leurs armoiries.

Le dépôt sur un coussin est accompli lors des funérailles; il constitue un acte solennel de dépôt des honneurs terrestres, marquant ainsi, une forme de dépouillement rituel, d'abandon de ses titres face à la mort. Ici  le symbole indique que son titulaire n'est plus de ce monde.

 

Les Initiales : C, B, identifient le personnage Charles Borromée. Celui-ci a les épaules couvertes d'une mosette et porte en dessous le rochet. Ce vêtement liturgique réservé aux évêques est un surplis de toile fine et blanche qui se porte par-dessus la soutane et descend jusqu'aux genoux. Il est souvent orné de dentelles comme ici ou de broderies. La soutane comporte des boutons dorés.

 

L'évêque est coiffé d'une barrette (biretta). Elle est habituellement rouge pour cette dignité.

 

Les statuettes ont été récemment nettoyées par des bénévoles du village et ont été solidement refixées dans leur niche respective.

 

Avant cette opération destinée à sécuriser ce patrimoine, un examen de la statuette a permis d'en retracer l'origine.

 

Sous le socle figurent deux précieuses indications.

 

P1040015

 

les origines de la statuette

 

La statue a été achetée dans le magasin d'ornements d'Église, tenu par Mademoiselle Marie CICILE, sis 2 Rue du Préau à REIMS. Cette vieille rue rémoise fut percée en 1831 sur l'ancien préau du chapitre de Reims.

Des publicités d'époque montrent que la marchande d'objets religieux occupe toujours cette adresse en 1883. En janvier 1890, M Dailly occupe l'ancienne maison de Marie CICILE 2 rue du Préau.

Le bulletin du Diocèse de Reims du 12 janvier 1904 (page 93) relate le décès de Melle Marie Cicile en date du 16 janvier 1903.

L'acquisition de la statuette (et probablement des trois autres) a donc été réalisée avant 1890.

 

La seconde indication est incomplète. On peut lire : 29        ULPICE

                                                                                   BOU      LEBEL

                                                                                                PARIS

Le talon du socle a été en effet perforé à une date inconnue pour permettre la fixation de la statue sur un pique solidaire du retable, d'où l'effacement du cachet d'authentification de la fabrique.

Il s'agit très probablement de la maison BOUASSE - LEBEL implantée au 29 de la Rue Saint-Sulpice à Paris (ancienne maison Barret réunies). C'est dans ce quartier rassemblant les producteurs statuaires que devait s'approvisionner le magasin rémois.

Cette fabrique parisienne a été fondée en 1842. L'acquisition de la statuette n'a pu se faire qu'après cette date.

 

Le maître-autel baroque de l'église Saint-Barthélemy de Suzanne date du XVIIIe siècle. Il était pourvu, à l'origine, de statues disposées dans les quatre niches. Les vicissitudes des périodes agitées par les guerres les ont fait disparaitre à une date inconnue. A la fin du XIXe siècle il a été jugé bon de les remplacer en s'adressant au magasin rémois.

 

En choisissant la figure de Charles Borromée, l'acquéreur (Fabrique de l'église ou généreux donateur) a voulu rendre un hommage appuyé à l'illustre promoteur de la Contre-Réforme dont l'application a engendré la naissance de l'art baroque bien présent dans cette église rurale.

@jeanluccollignon

 

 

Quelques pistes bibliographiques :

 

https://har22201.blogspot.com/2012/11/saint-charles-borromee.html

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30743s/f184.item

 

https://diocese.mc/storage/documents/609GMEYuxKiNOGUEubbJr8ULzHYbjQwd73rkR2Hy.pdf

 

 

 



01/06/2025
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